lundi 27 octobre 2014

Entrevue à l'émission "C'est pas trop tôt!".

Voici une entrevue que j'ai donné à Hugo Lavoie afin de dénoncer les changements qui touchent les soins d'hémodialyse au sein du CUSM. Le ministre Barrette a annulé un projet à la dernière minute, à quelques mois de la fermeture de l’Hôpital Royal-Victoria faisant en sorte de placer les patients dans un climat d'incertitude. 

Photo: Radio-Canada/Marie-Ève Tremblay

samedi 18 octobre 2014

Pour une bouchée de pain.

Nous flânions déjà depuis une bonne heure dans le café, faisant mine de déguster nos expressos, bien plus intéressés par le boost de caféine qu’ils devaient nous procurer que par la saveur du créma, quand mon ami entonna un chant intestinal annonçant l’heure du lunch. 

- Faque qu’est-ce qu’on mange? 

Ça devait faire trois ans qu’on ne s’était pas parlé, ni téléphoné, ni même échangé par courriel. C’est par hasard à deux degrés de séparation, par le lien d’un ami d’un ami sur Facebook qu’on a repris contact. On s’est perdu de vu au moment de terminer nos études; lui a trouvé un emploi assez rapidement à la fin du bac, moi j’ai plutôt tenté la maitrise avant de recevoir un diagnostic d’insuffisance rénale, mettant un terme définitif à mes études en développement organisationnel. On avait passé la dernière heure de ces retrouvailles à parler essentiellement de sa réussite professionnelle et de son bébé flambant neuf, un petit garçon du nom de… Merde, j’ai déjà oublié le nom de son gars. Typique. Dans tous les cas, on n’avait pas du tout abordé le choquant sujet de ma situation de malade dialysé et plus précisément, au moment qui nous concerne, d’handicapé alimentaire. Le régime que je dois suivre est extrêmement contraignant et mon attitude obsessive à le suivre à la lettre n’aide en rien ma capacité à partager un repas entre amis. 

- Ils ont des bons sandwichs ici, proposa mon ami avec entrain. 

J’esquivai la proposition en argumentant que payer 12$ pour un bout de pain et deux tranches de jambon allait à l’encontre de mes valeurs et que de toute façon, j’étais pas mal cassé en ce moment. Dans les faits, j’essayais plutôt d’éviter le sel des viandes froides, le potassium des tomates et le phosphore du fromage. On s’est entendu pour aller ailleurs, marcher un peu et profiter d’une des dernières belles journées d’automne en ville afin de poursuivre le résumé des années postuniversitaires.

- Heille! Une bonne pizza, ça te tente-tu? Il me semble que ça serait bon dans yeule! 


Bon décidément, je n’allais pas m’en sortir aussi facilement. Je devais intervenir et péter sa bulle gastronomique au plus vite avant qu’il ne passe au travers de la liste de toutes les maudites affaires que je ne peux pas manger et qui me manquent affreusement. 


- Écoute, faut que je te dise… Je t’ai pas dit, mais depuis la dernière fois qu’on s’est vu, y’a pas mal de choses qui ont changé. Tu vois, y’a quatre ans j’ai commencé des traitements de dialyse, pis là bin j’attends une greffe de rein, faque j’peux pas manger n’importe quoi.
- Ho! Ok!... Criss ok!... Wow! Pas cool… Ok, je m’attendais pas à ça, désolé… 
- Bin non man, désole-toi pas, tu pouvais pas savoir, pis tsé je vais bien là, c’est juste que de la pizza pis toute ça je peux vraiment pas en manger. 


Une fois le choc initial passé, j’ai senti que quelque chose avait changé dans son regard, une espèce de gêne, de honte même. Je crois qu’il venait de se rendre compte qu’il avait passé la dernière heure à énumérer les grands moments de sa réussite personnelle et professionnelle sans se douter que je n’aurais aucune munition pour répliquer. Je l’avais plutôt désarmé. En même temps je ne pouvais lui en vouloir d’avoir voulu démontrer l’étendue de son bonheur; on est tous un peu pris dans cette tendance à mettre plus d’importance à prouver qu’on est heureux qu’à le ressentir et en profiter. 

- Ok, alors qu’est-ce que tu peux manger?
- All right, je vais te dire ça, t’es prêt ? Je vais plutôt te dire tout ce que je dois éviter! Attache ta tuque. Ok, il faut que je fasse bin attention à quatre choses : le phosphore, le potassium, le sel et les liquides. Le phosphore c’est le plus simple, mais c’est le plus chiant. Ça touche carrément des groupes alimentaires, alors pas de produits laitiers…

- Pas de fromages ?! Caliss ça part bien! 

- Oui je sais, mais attend, t’as rien entendu encore. Donc, pas de produits laitiers, pas de légumineuses, pas de grains entiers, de noix et graines…

- T’as toujours été un gros mangeux de graines en plus!

- Ha bravo ! Très habile, merci! Bon ta gueule esti d’épais! Je continue : pas d’abats. De toute façon plus souvent qu’autrement c’est dégueulasse, ni de chocolat ni de sirop d’érable. Ça, c’est juste pour le phosphore.

- Tabarnak ! C’est mongol. 
- Oui, c’est pas évident, mais on s’ajuste. Ok, maintenant pour le potassium ça se complique parce qu’y faut connaitre les fruits et légumes par cœur.
- Genre les oranges, les bananes pis ces affaires-là?
- Oui c’est en plein ça; pas d’oranges, pas de bananes, de kiwi, de tomates, d’avocat, d’épinards, de courges, sauf la courge spaghetti qui est incroyablement insipide de toute façon, cochonnerie qui goûte la marde que je sais pas pourquoi ça existe caliss ! Pas de mangues, de chou-fleur, de patates, pis etcétéra. Mais là, fais juste penser à la combinaison pas-de-patates-pas-de-tomates-pas-de-fromage, c’est comme toute la cuisine italienne et toute la junk qu’on trouve partout! 

- Ayoye, comment tu fais? Tu manges quoi? 
- Pas mal tout le temps la même affaire en fait, mais ça c’est plus parce que j’ai plus le courage de faire des trucs adaptés comme j’ai longtemps fait, alors ça tourne pas mal autour d’une protéine, genre poulet ou porc en spécial; parce que chu pauvre en plus; une céréale comme du couscous ou du riz blanc et un légume; un des six légumes que j’achète tout le temps soit courgette, soit poivron, soit aubergine… En tout cas, tu vois le genre, c’est pas mal ça. 



En arpentant les rues du Mile-End, nous sommes passés devant nombre de petits cafés qui proposent des menus vegan et végétariens. C’est cute et tout, bien à la mode tout en revendiquant un futur écologique, biologique et équitable, mais ça représente pas mal tout ce que je ne peux pas manger dans le royaume des légumineuses et de la tomate bien mûr. Parfois aussi, la prolifération soudaine de cette offre éthique sent l’opportunisme crasse, le trend du mois et une manière de surcharger le prix d’un burrito aux fèves noires à la clientèle consciencieuse. C’est donc dans l’ambivalence entre optimisme et cynisme que nous avons arrêté notre choix sur un sandwich au poulet portugais; sans doute bien trop salé, comme tout ce qu’on aurait pu manger en restauration de toute façon. 

En revenant vers l’avenue du Parc, on en a profité pour aller se prendre un bagel tout chaud et s’assoir un instant sur un des bancs publics qui meublent les trottoirs. Ce n’est sans doute pas possible de rattraper trois ou quatre ans de retard en quelques minutes et c’est plutôt dans un silence complice que nous avons dégusté la mie tendre et inimitable des bagels de Montréal. C’est étrange, mais je crois que ça lui a fait du bien à mon ami, qu’on soit comme ça, sans mots pour se comprendre, mais liés par la contemplation du moment présent; seul instant dans sa semaine où il n’avait rien à prouver à personne, rien à démontrer, pas besoin de tenter de me convaincre à quel point son travail était stimulant ou que son enfant le rendait gaga de bonheur. Peut-être qu’il se consolait en se comparant, mais même si c’était le cas, j’avais vraiment l’impression qu’on se retrouvait pour de vrai, dans le réel, sans les artifices d’un profil virtuel. On a humé les odeurs de torréfaction et de feuilles mortes, la bouche pleine de pain, observant les passants sans même les commenter. 



vendredi 17 octobre 2014

Insomnie

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samedi 4 octobre 2014

Quand la vie fait des jambettes.

Aussitôt que j’ai ressenti la pression dans ma poitrine, je savais que quelque chose n’allait pas. J’ai tout de même attendu de voir si ça allait passer, malgré l’absolue conviction qu’il s’agirait d’un véritable malaise d’ici peu. Ce sont de nouveaux symptômes qui m’ont confirmé l’anormalité de la chose. Mon infirmière avait à peine entamé la procédure pour me débrancher de la machine de dialyse que la douleur, pas féroce, néanmoins déplaisante, comme un rot bien coincé au-dessus du sternum s’est imposée dans ma cage thoracique. Puis, rapidement, j’ai eu du mal à respirer, cherchant à remplir exagérément mes poupons en vain. 

- Ok, it doesn’t feel right, I told my nurse. 

Je voyais bien qu’elle avait déjà compris que ça n’allait pas. Du tout. D’une seconde à l’autre, le simple traitement de dialyse routinier s’est transformé en situation d’urgence, déclenchant un protocole qu’il vaut toujours mieux éviter. Les rideaux se sont refermés autour de ma chaise, l’assistant est venu nous rejoindre avec l’électrocardiographe alors que mon infirmière apposait un saturomètre au bout de mon index afin de vérifier si mon sang était adéquatement oxygéné. Pendant que l’assistant, le visage affichant une sévérité que je ne lui connaissais pas, s’affairait à me coller sur le corps les pastilles permettant la connexion de l’électrocardiogramme, le saturomètre indiqua un taux qui correspondait à la fois au teint blêmit de mon visage et au bleu de mes lèvres. L’ensemble de mes pores de peau se dilatèrent pour exprimer une abondante transpiration. On me brancha immédiatement sur l’oxygène, ce qui n’empêcha pas à ma vision périphérique de s’embrouiller étrangement, comme si une sorte d’huile filtrait la lumière avant d’atteindre ma rétine. J’informais mon équipe, entre deux respirations exagérément profondes, que j’allais probablement perdre connaissance.

- Ça va bien aller Phil, on est là.

Étrangement, ça m’a fait rire intérieurement, n’ayant indéniablement pas la capacité de le faire physiquement : j’étais bien trop concentré à chercher mon air, à ne pas tomber dans les pommes, comme si je pouvais faire quoi que ce soit afin d’éviter cette possibilité. Ce n’est pourtant pas parce que je luttais avidement pour rester conscient que cela allait m’empêcher de soumettre cette affirmation loufoque à une analyse déplacée. Je n’ai pas un grand sens de la répartie; je suis plutôt un « analytique » qui prend son temps et qui macère les idées dans le bouillon cognitif. Même dans une détresse évidente, je n’allais pas changer ce trait caractéristique. Alors qu’une certaine panique contrôlée tourbillonnait autour de moi; prises de sang, électrocardiogramme, oxygène, regards anxieux et téléphone à je ne sais quel département, j’étais d’un calme qui me rendait perplexe. Enfin, intérieurement, car de l’extérieur, tout mon corps luttait contre le malaise et mon regard devait sans doute donner l’impression d’un affolement incontrôlable. Le «Ça va bien aller Phil » résonnait encore chez moi comme une bonne blague qui fait éclater de rire des heures après l’avoir entendue. Je me disais qu’il n’en savait rien si ça allait bien se passer, l’imaginant même penché au-dessus de mon torse pour tenter de me réanimer dans un futur rapproché. La mort m’a fait un petit clin d’œil, question de me rappeler qu’une fois dans sa mire, elle ne me lâcherait pas. J’y ai pensé à la mort. J’y ai presque cru. Je me suis dit que c’en était fini, que mon temps était arrivé. C’est un peu bête comme fin, mais je n’y pouvais rien. Je n’avais pas peur, mais je trouvais ça dommage. J’ai même eu une pensée pour ma mère, me disant qu’elle allait être dévastée et que je me sentirais vraiment poche de lui faire ça, maintenant. C’est tout de même étrange de penser à tout ça avec autant de résignation. Ça n’a duré que quelques secondes, mais c’était amplement suffisant pour que les possibilités funestes se déploient devant moi.

Ma respiration a progressivement réussi à m’alimenter de nouveau convenablement en oxygène, faisant plutôt place à une toux sèche provoquée par un picotement dans la gorge; un troc avantageux qui me permit de retrouver une certaine stabilité. Avec ces quelques facultés recouvrées, je pouvais enfin me remettre à parler presque normalement, étant seulement interrompu par le réflexe tussigène. Le gros du malaise avait duré une quinzaine de minutes, je crois. Le temps n’ayant plus d’emprise sur moi dans de telles circonstances, je suis incapable de l’évaluer avec certitude. Peu importe, la tempête s’était calmée et c’est la seule chose qui comptait. Ma soirée, qui devait se terminer par un repas chaud dans le confort de mon salon, allait inévitablement se déplacer à l’urgence; la douleur à la poitrine persistait, ma vision périphérique souffrait toujours de distorsion et j’étais aux prises de toux sèches. J’étais essentiellement sorti d’affaire, mais il fallait tout de même enquêter. Je crois que j’aurais même pu me rendre à l’urgence à pied, mais c’est plutôt en fauteuil roulant, accompagné par mon équipe de soin, que je m’y suis rendu, empruntant des raccourcis secrets, des couloirs sombres dominés par les principaux conduits de l’établissement, donnant à mon périple hospitalier des allures de film d’horreur industriel. 

L’urgence est un monde à part; on y retrouve, j’ai l’impression, les infirmières les plus jeunes, celles qui ont le plus d’énergie, qui sont avides de connaissances et qui à force de côtoyer multitude de complications et de symptômes, accidents divers et une dose quotidienne de traumas et de mortalité, n’ont d’autre choix que d’être désensibilisées en accéléré. C’est peut-être pour cela qu’elles ont souvent le regard vide, mort presque, drogué par l’inlassable flot de mutilations corporelles. Ce soir-là, fort probablement comme tous les soirs, l’urgence était bondée. On m’a transféré sur une civière et on m’a transporté dans le cœur de l’action où les malades et les blessés sont alignés côtes à côtes, stationnés, branchés, évalués, auscultés, piqués, espérant, insomniaques, que les maux passent. Les allées étant toutes occupées, j’ai eu l’immense chance que l’on m’amène dans une chambre d’isolation où était entreposée une grosse cage métallique, remplie de matériel médical et protégée par une pellicule plastique sur laquelle une feuille indiquait au gros marqueur : « Pour Ebola seulement ». Décidément, la vie à un drôle de sens de l’humour. Non loin de moi, une vielle patiente s’agitait en plaintes inintelligibles que seule son infirmière semblait pouvoir déchiffrer, ce qui occupa une partie de ma soirée. Où était-ce déjà la nuit? On vint me poser un cathéter au bras afin d’effectuer des prises de sang que l’on allait répéter aux trois heures environs et éventuellement m’injecter un agent de contraste au moment de passer une imagerie thoracique. Malgré l’inconfort rigide de ma civière, l’incessant bruit de fond des machines et du personnel, j’ai pu dormir quelques heures. 

À mon réveil, l’urgence s’était considérablement vidé de ses patients ce que j’imaginais être bon signe. À ma grande surprise, ma néphrologue est apparue sur l’unité et s’est dirigée immédiatement vers moi. 

- How are you Philippe? How are you feeling? 

C’est incroyable cette dévotion professionnelle. Je trouve cela admirable. 

- I’m fine, thank you! 

- Ok, good, I’m glad you’re all right. So we did some tests to verify if you did something like a small cardiac arrest and it’s all negative. 

C’est déjà ça de gagner.

- What I think happened is that a small clot formed at the end of your catheter and when your nurse flushed with the saline, it detached it.

Ça serait donc ça, un caillot de sang, probablement microscopique, qui se serait formé au bout de mon cathéter et qui se serait détaché au moment d’effectuer le rinçage. Ça ou une bulle d’air, mais cette hypothèse est difficilement défendable, car je n’aurais pas souffert de troubles de la vision. Non, ça devait être un caillot. Certainement microscopique, car je ne serais plus là autrement pour témoigner de tout cela. Merde. Ça commence à être un peu trop sérieux tout ça. 

- Philippe, you’ve got to get rid of the catheter. Even if we change it, it wont prevent another clot to form. 

Cette suggestion, qui m’aurait choquée il y a quelques heures à peine, résonnait désormais autrement. Ma docteure faisait référence au remplacement du cathéter par la fistule, celle que je m’étais efforcé de chasser irrationnellement de mon esprit, répugné par la mutation corporelle qu’elle imposait et qui aurait compromis mon intégrité physique causant, je présumais, un plus important traumatisme émotionnel que le cathéter ou la greffe. Avant même que ma néphrologue vienne me reparler de cette option maudite, je crois bien qu’un glissement émotionnel avait déjà débuté progressivement. Parfois, les faits, les statistiques et toutes autres données qui devraient nous convaincre d’agir dans une direction sont simplement insuffisants pour surmonter le poids d’une résistance émotionnelle. Je crois que j’ai longtemps tenté de me convaincre qu’après la greffe, ma vie serait normale, qu’une fois le cathéter retiré, il ne resterait pratiquement plus de traces de ce passé affligeant. Je me suis menti. Et je l’ai toujours su. J’ai voulu y croire, mais cette fois j’accepte que ma vie ne soit jamais plus normale. Je n’aurais jamais une vie professionnelle normale, je n’aurais jamais une vie familiale normale, je n’aurais jamais une vie de couple normale. Je n’aurais jamais une vie normale et c’est correct ainsi. Ce n’est pas une fistule de plus qui va changer tout ça. Ce n’est pas une greffe non plus.

Je me souviens, à l’école primaire, j’étais un ptit criss bien énervé dans la cour de récréation, mais maudit que j’étais bon pour anticiper les jambettes de ceux qui voulaient me faire trébucher dans ma course, sautant par-dessus les jambes de mes adversaires avec agilité et arrogance. La vie peut m’envoyer toutes les jambettes qu’elle veut. Elle peut même parfois arriver à me faire tomber, cela n’a pas d’importance, à chaque fois, je vais me relever et continuer ma course simplement pour avoir la satisfaction de ressentir encore une fois la fierté triomphante d’éviter la prochaine embûche.