lundi 4 mai 2015

Remplacement.

- Dis-moi si ça fait mal quand je tire.

J’ai senti la tension augmenter rapidement sur mon cathéter au moment où le médecin s’est mis à tirer sans retenue jusqu’à ce qu’un vif pincement se fasse sentir.

- Ça fait mal ! 

Il relâcha tout avant de m’indiquer qu’il allait me geler. Un signal d’alarme venait toutefois d’être lancé au travers de mon système nerveux jusqu’au cœur qui s’était mis à battre à un rythme infernal. Ce réflexe ancestral encodé en chacun de nous prodiguant au corps l’énergie nécessaire pour fuir le danger n’avait pas été sollicité depuis des années et voilà que ma cage thoracique se faisait marteler par un cœur emballé. Couché sur le dos dans cette pièce climatisée, la tête immobilisée par de multiples champs stériles, le bras gauche ligoté en intraveineuse au soluté et le bras droit lié par le tensiomètre, je n’avais nul par où aller. Ni loup, ni ours ni autre créature voulant se servir de ma chair comme festin n’étaient présents dans la salle, mais seules quelques infirmières attentionnées qui avaient pris soin de m’installer confortablement, d’enlever délicatement le pansement qui couvrait le cathéter veineux central qui devait être remplacé aujourd’hui, avant de me désinfecter de multiples solutions à base d’alcool, me prévenant avant chaque application que cela allait être froid. Puis ce médecin qui allait procéder au remplacement qui venait de tirer sur ce tube causant tout cet affolement corporel.

- J’ai le cœur qui palpite! 

- Prend de lentes et profondes respirations, ça va passer.

Depuis la salle d’attente que je m’efforçais à rester calme, à contrôler ma respiration, à bloquer le tapotement nerveux de mon pied et voilà que la première intervention du médecin me renvoyait à un danger de mort. Au tout début, lorsque j’ai commencé l’hémodialyse et que cela était complètement nouveau pour moi, la peur associée au cathéter arraché me poursuivait jusque dans mes rêves. Je ne peux compter le nombre de fois où je me retrouvais à devoir me rendre à l’urgence avec ce tube entre les mains, délogé de sa tanière chaude de ma jugulaire pour finalement me réveiller dans le plus grand malaise. Une fois, il m’était même arrivé de me réveiller alors que je tentais inconsciemment de me l’arracher, tirant à petits coups sur le pansement qui démangeait continuellement. 

- Ça va piquer un peu. Ok, attention un, deux, trois, ouch! 

La formule surprenante qu’avait utilisée le médecin avant d’injecter la formule anesthésiante m’a fait sourire et l’habituelle douleur que provoque l’aiguille qui s’enfonce dans le pectoral s’en est trouvée moins importante que dans mon souvenir. Même à la deuxième injection, l’effet de surprise dissipé, la piqûre fut bénigne. Aussitôt l’anesthésie faite, le médecin s’est remis au travail. Je craignais qu’il n’ait pas suffisamment attendu que les injections aient fait effet, mais il se trouve que le résultat était instantané, car déjà je n’ai ressenti aucune douleur. 

Le plus étrange lors d’une anesthésie locale c’est qu’on ne ressent pas la douleur, mais on perçoit les tensions, les mouvements, les frictions. Le médecin tire avec force, je ne sais pas exactement comment il s’y prend, car depuis le début de l’opération j’ai la tête posée en sens inverse de l’action et les champs stériles cachent une partie de ma vue. Tout ce que je sais, c’est que le cathéter se déplace sous ma peau, que le tout ne se fait pas dans une grande délicatesse et que cette agression corporelle va certainement laisser son lot de souffrance lorsque l’effet anesthétique va se dissiper. 

Le médecin donne ses indications à une étudiante afin qu’elle insère le nouveau cathéter. Contrairement à la première fois, il n’y a pas de tunnel à creuser pour se rendre à ma jugulaire : l’étudiante n’a qu’à suivre le même chemin qu’empruntait l’ancien tube. À l’aide d’un appareil d’imagerie, le médecin et son étudiante peuvent voir exactement l’endroit où doit se rendre l’embouchure du cathéter, quelque part dans mon cœur. Une fois les derniers ajustements complétés, l’opération se termine par une nouvelle séquence d’anesthésie avant de faire quelques points de suture pour maintenir le cathéter en place le temps que le corps cicatrise et s’agrippe au coffre en tissu, permettant son l’immobilisation. L’aiguille me pique, mais la douleur n’est pas assez vive pour que je le mentionne. Ce sont d’ailleurs ces points de suture qui sont les plus déplaisants lorsque la sensation revient à la normale; cela donne l’impression de plusieurs piqûres sur la peau sous le pansement. Le site va rester sensible plusieurs jours. Il faudra éventuellement le nettoyer à l’alcool pour déloger les croûtes de sang séché qui se seront formées; c’est ce qui est le plus douloureux dans toute cette opération tant cela est vif et que l’alcool semble transpercer la chair comme un poignard. Ça, je m’en souviens très bien. 

Un autre moment où ma patience est mise à l’épreuve, une autre pause le temps que le corps guérisse. Je reviens momentanément à la case départ. Et la greffe qui se fait attendre. Un autre été en dialyse? Un autre été loin des piscines, loin des terrasses et de la bouffe de rue. Une simple épreuve de plus, un événement pratiquement routinier, une mutilation de plus; rien de très sauvage. Ces choses ne me font plus mal, mais je deviens impatient.