lundi 18 juillet 2011

Avenir trouble (suite et fin)

La mort, la séparation et la maladie partagent un sentiment commun. Le vide de la mort, la disparition de l’amour et l’isolement de l’altérité creusent un abîme incompréhensible, mais palpable. Avant d’être malade et subir des traitements, mon esprit vagabondait dans toute sorte de projets d’avenir tout en étant quotidiennement dorloté par le berceau de la routine. Puis un jour, un diagnostic tombe et perturbe ce doux mouvement aussi incessant que la marée. Une faille se dérobe sous mes pieds et la chute m’entraîna dans un endroit sombre et déprimant. Immanquablement, le changement provoqua une levée des boucliers et pendant des semaines, voir des mois et encore parfois à l’occasion, mon esprit s’imagine un univers parallèle où ma santé serait intouchée. « Qu’aurait été ma vie si… » Cette question m’apparait fréquemment. Pire encore, il m’arrive de visualiser ma vie antérieure, de réaménager le passé, tentant désespérément d’influencer le présent afin qu’il ait un sens. « Si seulement je n’avais pas consommé telle truc, si j’avais fait plus attention à ça » et ainsi de suite, sans arrêt. Mes souvenirs deviennent alors comme un jeu de dominos : si j’étais comme cela, c’est parce que je souffrais de ceci et que si je ne n’avais pas eu ceci, j’aurais été cela, jusqu'à refaire complètement mon historique. Ce sont ces réflexions futiles qui me hantent lorsqu’une relation aboutit, lorsqu’une complicité est sublimée, réduite à néant par la perte sous toutes ces formes.

Cette réflexion m’entraîne dans un monde qui n’existe nulle part d’autre que dans ma tête et m’éloigne de tout; de moi, des autres, du champ de bataille et du combat. Tôt ou tard, il faut accepter la transformation, cette absence, ces nouvelles règles. Ne jamais oublier qu’une bifurcation n’est pas un pas en arrière.

J’entends souvent parler de ces gens qui, frappés par la maladie, obtiennent l’illumination presque divine et changent radicalement leurs habitudes et profitent de chaque moment de la vie, remerciant à chaque instant le ciel d’être encore vivant. Je ne suis pas de ceux-là. Je ne me suis pas soudainement découvert de passion, je ne suis pas plus reconnaissant envers la vie et je ne voue aucun culte aux astres et à l’univers. J’ai toujours été un peu pessimiste, voire réaliste…

Néanmoins, je ne suis pas indifférent non plus, loin de là. Le changement qui survient, qui pour certains est aussi formidable qu’un soleil devenant supernova, est pour moi un long processus et le signe d’une profonde métamorphose. La maladie n’est pas qu’un drame ou un obstacle à surmonter, c’est aussi le temps de profiter d’une contrainte opportuniste, l’occasion cauchemardesque de s’arrêter, de réfléchir, de faire un grand ménage introspectif et de remettre en question ses priorités et ses valeurs. C’est ainsi, que depuis quelques mois je classe, je réaménage et déplace dans mon esprit les mémoires et leurs significations des 30 dernières années. Le changement qui en découle est pour la plupart du temps subtil, mais fondamental : c’est mon rapport à l’univers, à ma place dans ce monde, mon rôle dans la société sous toutes ces facettes qui reçoivent de nouvelles informations, s’adaptent et se transforment. Mon regard et mon écoute se tournent vers moi-même et je me tends la main. Je me scrute et m’interroge afin de me définir et choisir les bons mots pour le faire. Je prends un réel plaisir à trouver la bonne définition, celle qui serait la plus juste.

Depuis la maladie, cette remise en question m’aura perturbée et blessée. Puis, petit à petit, elle m’aura permis de revoir les fondations de mon être et de redéfinir ma quête existentielle. Présentement, je continue d’approfondir ce remaniement qui doit se présenter dans toutes les sphères de mon quotidien, car maintenant je l’exige. Je ne pense pas que l’on puisse rendre le sens de la vie limpide. Néanmoins, il est possible d’éclairer l’obscurité et de s’avancer sans se perdre.

C’est ainsi, je l’espère, que je trouverais ma voie, car mon avenir n’aura d’importance que s’il contribue à approfondir cette immense réflexion.

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