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vendredi 13 mars 2015

Restant des fêtes.

Va chier Ricardo. Va chier toi pis ton beau sourire, ton sourire Crest, ton sourire de broches super symétrique qui brille que je suis certain qu’ils mettent un filtre en post-prod pour pas aveugler la province au complet pis se ramasser avec un recours collectif sur le dos. Pis ton sourire de vendeur de cochonneries faites en Chine pas foutues d’être conformes à la Charte de la langue française; t’as pas honte? Pis que ça te pètes dans les mains après deux semaines pis que ça te permette de t’acheter quatre maisons dans le vieux Chambly : coudonc veux-tu posséder la ville? Quand je te regarde, j’ai l’impression de voir une caricature tellement t’es faux, tellement ta peau c’est du plastique pis tes dents de la porcelaine; on dirait une caricature d’info pub des années 90 ton affaire. Tu plug tes cossins au trente secondes, ta revue au deux minutes pis tout ça sur les ondes d’un diffuseur public; comme les prix que tes livres ramassent chaque année au Salon, que ça me donne des nausées, mais pas comme tes recettes qui sont bonnes à chaque fois que je les essaye pis que ça me fait encore plus chier, si au moins ça goutait la marde, peut-être que ça me donnerais un peu plus raison de t’haïr de même.
 
J’ai beau m’insurger contre lui, je suis quand même en train de consulter sa recette de pâté au poulet sur internet afin de passer un restant de dinde du jour de l’an. Je n’ai pas le choix de piler sur mon orgueil et d’avouer que son site de recettes est foutument bien fait et qu’il déçoit rarement. Je vais tout de même y mettre ma touche personnelle et ajouter du romarin ainsi que le délicieux bouillon dans lequel est figée la dinde. Je vais même faire la pâte brisée à la main, mais je vais remplacer le beurre par du Crisco végétal. En fait, je dois remplacer le beurre. Je ne peux pas l’utiliser à cause de l’insuffisance rénale. Quatre ans de dialyse, quatre ans de privation de beurre dans la pâte, de fromage dans les sauces, de lait dans les céréales et de toute façon, de céréales aussi.
 
Quatre ans de Ricardo qui calice quantité de produits laitiers dans ses recettes, qu’il ne confectionne même pas, qu’il y a au moins douze cuisiniers qui font sa job à sa place, de maudite fraude qui fait juste sourie à la caméra et vendre sa marde encore et encore.
 
Bon, évidemment il met des pommes de terre dans sa recette et je dois aussi éviter les aliments riches en potassium comme ladite patate. Je m’adapte, comme toujours. Je vais doubler la quantité des autres légumes et je vais ajouter des champignons revenus à la poêle. Je me sens créatif ce soir, malgré tout, prêt à improviser autour de la recette parfaite de Ricardo le parfait et de ses dents parfaites de parfait mannequin.
 
Ma poêle est chaude à point, j’y jette les champignons taillés en quartier. Je ne les remue pas afin qu’ils perdent leur eau et grillent. Au bout de quelques minutes, je les retourne; ils sont à point. Parfait, je réserve. Je prépare ma brunoise de légumes - carottes, oignions, cèleris - avec une précision méticuleuse digne des maîtres. Mon couteau est affuté et mes mains agiles, mais fermes. Je retourne vérifier la liste des ingrédients déconcertante par sa simplicité:
  • Fécule de maïs, pour donner de la densité au mélange;
  • De l’eau froide, pour diluer la fécule de maïs;
  • De la farine blanche, aussi pour donner de la texture, j’imagine;
  • Du beurre ramolli, encore du tabarnak de beurre ?;
  • Du poivre, on se lâche lousse;
  • Du sel, que je dois aussi éviter, mais que je vais mettre pareil parce que d’la marde;
  • « et un peu de sucre en poudre! »
C’est de l’arsenic que je mettrais dans ta recette mon beau Ricardo pour te voir convulser dans ta cuisine du vieux Chambly. Ben non ! Tu sais bien que je niaise. Mais des fois, j’aimerais juste que tu vives quelques jours dans ma peau. Que ta vie de superstar soit chamboulée, anéantie même, du jour au lendemain. Pas que je te souhaite un malheur, non. Ça serait temporaire, juste pour toi. Juste un aller-retour rapide dans le merveilleux monde de l’insuffisance rénale et des traitements de dialyse. Tu serais mon porte-parole, ma voix, mon lobbyiste. Toi aussi tu irais sur ton site de recettes et tu te rendrais compte que tu dois tout réadapter, que tu dois tout repenser, jusqu’à en être frustré et vouloir tout crisser là. Et les jours de grande fatigue comme il y en a tant à cause des traitements corrosifs, et que tu voudras commander de la pizza ou du chinois ou du St-Hubert, tu ne pourras pas, toi non plus. Il faudra te résoudre à cuisiner quelque chose pour te nourrir, quitte à produire un plat insipide pour combler un besoin en attendant la récupération du corps, qui ne semble jamais s’effectuer, avant de pouvoir à nouveau avoir la force d’adapter, modifier et improviser avec brio et créativité un délice inspiré. Tu auras une étoile Michelin à ce moment-là. Dans mon cœur en tout cas.  
 
La recette de pâte brisée sur le site de Crisco diffère légèrement en terme de proportions pour l’utilisation du beurre. Pour me simplifier la vie et tel que recommandé par Crisco, je décide d’utiliser le robot culinaire ultra puissant que ma mère m’a donné un jour à Noël. Une vraie pièce de collection. D’ailleurs, Ricardo, je crois qu’on à exactement le même modèle, ce qui me rend pas peu fier. Tu vois, moi aussi j’ai un peu de sang bourgeois qui coule dans les veines. Du sang de bourgeois impur, certes, du sang intoxiqué d’urée et de créatinine, un sang filtré à chaud, autour de 37oC, aux deux jours et en vain. Éternel recommencement, pendant quatre heures à chaque fois, me drainant de toute mon énergie à chaque fois, me rendant aussi loquace qu’une carotte bouillie à chaque fois, transformant mes muscles en pâte de carton à chaque fois. Le corps ne s’habitue jamais à ça.
 
Ha fuck! J’arrive jamais à réussir la maudite pâte brisée! J’ai trop pétri ? Trop ajouté d’eau ? Pas assez ? Ricardo, dis-moi donc ce que j’ai pas fait de correct. Rends-toi utile pour une fois calvaire. La pâte colle à mon plan de travail pourtant généreusement enfariné. J’arrive de peine et de misère à former une surface assez grande pour recouvrir la majeure partie de mon plat creux, mais un travail de rafistolage est nécessaire Tu vois, je m’adapte, encore une fois. Moi aussi j’aimerais que ma vie soit une belle pâte lisse et ferme qui épouse parfaitement le moule qu’on me présente. Mais non! Ma vie est une pâte brisée qui se déchire; j’assemble du mieux que je peux les morceaux pour que ça se tienne. Parfois ça fonctionne, d’autres fois je vois les cicatrices laissées par ce travail de raboutage. Mon fond de pâté ressemble plus à une courtepointe qu’à une œuvre culinaire; c’est pas grave ça va être bon pareil. C’est toujours ça que je me dis.
 
Le pâté dans le four, son délicieux arôme se répand dans l’appartement : ça sent les fêtes, ça sent le réconfort. Tu sais Ricardo, ce n’est pas contre toi que j’en ai. C’est cette maudite situation que j’endure et que tu me remets en pleine face à chaque fois que tu présentes une recette toute simple. Parce que pour moi, ce n’est presque pas possible d’avoir de la simplicité en cuisine. Comme dans le reste de ma vie d’ailleurs. Encore l’autre soir, je me suis dit que j’allais sortir, m’asseoir au bar et siroter quelque chose, peut-être même un alcool fort genre whisky ou bourbon. Mais tu sais, la réalité reviens vite au galop et je suis plutôt passé tout droit, observant au passage le reste de ma génération avoir ce qui semble être du plaisir; éclats de rires, toast à l’une puis à l’autre, jeune couple ou en voie de l’être qui se noie dans le regard de l’autre et ma trentaine, dans le fond de la salle, qui me fait bye-bye de la main. À chaque fois je me fais prendre. À chaque fois que j’essaie d’ignorer la réalité trente secondes, d’entrer en phase de déni provisoire, je me fais mordre cent fois plus fort; une crisse de gifle. Faque va chier avec ton pâté au poulet, mais prend le pas personnel.    
 
Si jamais ça sent le brûlé ce soir, Ricardo, ce n’est pas à cause de toi ou de ce qui cuit dans le four : c’est juste mon cœur carbonisé qui abdique.

lundi 22 décembre 2014

Jamais deux sans trois.

Ça fait déjà deux fois qu’on m’appelle parce que j’ai été sélectionné pour une chaîne de don croisé et ça fait deux fois que ça ne fonctionne pas. En plus de la fois où je me suis même rendu à l’hôpital pour un don cadavérique et qu’à la dernière minute ça a foiré. Je sais que je ne devrais pas me décourager, rester confiant et continuer de croire que ça va arriver bientôt, mais on dirait que j’arrive au bout de ce que j’accepte d’endurer. Oui, accepter, parce que je sais très bien que je peux en prendre plus et continuer à fonctionner comme un automate, sur le pilote automatique, le cœur vide. Je n’ai juste plus tellement de plaisir maintenant. Je ne sais pas si c’est simplement cette maudite saison de marde qui me donne des frissons jusque dans les os qui fait que j’ai plus de facilité à verser des larmes que d’étirer mes lèvres pour sourire. Ou si c’est ces espoirs qui s’écroulent devant moi comme autant de promesses brisées. J’aimerais mieux me dire que mon tour s’en vient, que ça se passe en 2015, de ne pas lâcher; que je suis sur les derniers miles de ce long marathon. En ce moment, le verre est à moitié vide. Je reçois les mauvaises nouvelles comme on reçoit habituellement une mauvaise nouvelle : avec pas de joie. Demandez-moi pas de rebondir. Pas cette fois-ci. Pas maintenant. Ça fait quatre ans que je garde en tête que des jours meilleurs s’en viennent, que la greffe aussi s’en vient. Je ne pensais pas que ça niaiserait autant en arrivant tout près du fil d’arrivée. C’est dur.

Il y a aussi que la période des fêtes me fait pas mal chier-exposant-dix. Pendant que les menus sont savamment élaborés grâce aux judicieux conseils de Ricardo, que les familles se rassemblent autour du petit dernier de la famille qui célèbre son tout premier Noël; ha! Comme c’est mignon; qu’on est momentanément divertis de la routine habituelle par quelques journées de congé de plus qu’à l’habitude, le tout enrobé de sucre glace et de la super playlist de cantiques concoctée par matante Ginette qui joue sur repeat; je contemple mon horaire de dialyse avec dégoût et envie. J’envie cette maudite normalité qu’on aime tant détester quand on est pris dedans. J’envie l’insignifiance des soldes d’Après-Noël et des partys de bureau arrosés de vin cheap en boîte et où l’on se sert cent fois dans le buffet dégueulasse. Moi aussi je veux chialer que le temps des fêtes ce n’est pas reposant. En fait: ce n’est pas reposant; comme toutes les semaines pas reposantes à cause des traitements. Ça change fuck all dans ma vie l’anniversaire du petit Jésus. La maladie ne prend pas de vacances. Elle s’en criss pas à peu près du père Noël, des anges de nos campagnes et de mon petit soulier. 

Je sais que ça ne sert à rien de cracher sur le bonheur des autres comme ça. Mais ce soir ça me fait du bien. Ce n’est rien de personnel, ça va passer. Je déteste ça m’apitoyer sur mon sort comme ça, je ne m’endure pas, mais ne vous inquiétez pas; le moral finit toujours par remonter. J’ai beau m’enfarger, je trouve toujours le moyen de pas trop me péter la gueule à l’atterrissage. Parce que c’est ça le plus important, pas vrai? L’atterrissage. En attendant, je veux juste continuer à envoyer chier l’univers; c’est tellement con et insignifiant qu’au moins ça me fait sourire. C’est déjà ça. Qu’est-ce que je peux faire d’autre de toute façon? 

Des appels, il va y en avoir d’autres. Ils vont encore essayer de réparer la chaîne et si ce n’est pas la chaîne, ce sera un autre malchanceux qui se sera fracassé le crâne dans un accident d’auto parce qu’il aura pris sa voiture en revenant d’un party de bureau beaucoup trop arrosé de vin cheap en boite et se sera servi cent fois dans le buffet dégueulasse. Joyeux Noël.

samedi 20 décembre 2014

Le palais des glaces.

- Salut.

- Salut!

Ses yeux étaient magnifiques, délicats et fins, comme si une attention particulière aux détails de ses paupières inférieures avait plongé son créateur, obsédé, perfectionniste, dans une folie de méticuleuse finesse, produisant un chef-d’œuvre d’origami. Je me surprenais à m’attarder au raffinement des jolis éventails qui soutenaient son regard et la particularité magistrale de ces plis m’absorbait complètement. Elle devait à peine entamer la vingtaine, mais ce détail si spectaculaire et anodin qui m’entrainait rapidement vers l’obsession, n’était pas simplement le fait de sa juvénilité, que le stress et les chagrins de la vie n’avaient visiblement pas encore flétrie; c’était plutôt, je présumais, le fruit d’un heureux mélange chromosomique. Peu importe la cause, cela résultait en un regard soutenu de ma part en direction de ses yeux, ou plutôt, quelques millimètres sous ceux-ci, sur ses gracieuses paupières inférieures. L’intrigue que provoquaient ses superbes membranes me paraissait aussi ridicule qu’excitante et me plongeait au cœur d’un fétichisme inédit. Entre une salutation et sa réplique, je venais de m’émouvoir sur les replis d’une protection oculaire. Parfois, la plus simple des formules provoque les tourments les plus intenses.

J’ignorais si ma récente fascination avait créé quelconques malaises autour de la table, où siégeaient amis et connaissances diverses, mais à vrai dire, c’était le moindre de mes soucis. Je ne pouvais plus détourner mon attention de ce mystère physiologique qui m’offrait un prétexte pour entamer la discussion. Mais avant même de prononcer quelques âneries d’usage qui auraient au moins eu le bénéfice d’amorcer un échange, je retombais dans un vieux réflexe pourri qui m’amène à analyser et cartographier, jusqu’au moindre battement de cils; qui me précipite dans diverses associations et autres manèges cérébraux, dans l’espoir de saisir, dans toute sa complexité et sa saveur particulière, la personne qui se trouve devant moi. Je m’épuisais inutilement à communiquer avec elle par télépathie évitant ainsi d’ouvrir la bouche et m’embourber de mots dissonants, minimisant les risques de révéler une brèche et dévoiler un aspect vulnérable ou un côté de moi indésirable. Pendant que je joue le pseudo-détective et l’apprenti télépathe, je ne suis pas avec elle, je ne suis même plus avec moi; je suis dans ma tête, je suis dans le fantasme et dans tout ce qui m’éloigne du moment présent et de l’authenticité. J’ose seulement espérer que je ne suis pas le seul idiot à tomber dans cet abrutissant exercice. Pendant que je cogitais encore, loin de moi, enfouie dans les méandres neuroniques et des rêves qui y habitent, l’arrivée d’un bol de salade qui devait circuler en sa direction me fit reprendre un peu mes esprits. Je lui adressais finalement la parole. 

Nous avons procédé à quelques échanges d’usage question de briser la glace et à mesure que nous discutions de choses et d’autres, que nous nous intéressions mutuellement à nos occupations quotidiennes : « Ha! Moi j’étudie en architecture depuis un an et j’aime vraiment ça. Et toi, tu es aux études? »; que nous faisions connaissance sans grande originalité, mais avec l’efficacité d’un site de rencontre, je commençais à ressentir une forme d’inquiétude, et ce, malgré la facilité déconcertante avec laquelle nos intérêts communs se dessinaient. Outre ses phénoménales paupières, je la trouvais plutôt jolie et honnêtement, j’espérais pouvoir en connaitre davantage sur elle avant la fin de la soirée. Il faut dire que pendant une aussi longue période de célibat, la moindre rencontre intéressante se transforme rapidement en hypothétique possibilité romantique nourrie par un sentiment d’espoir qui s’installe un peu plus profondément à chaque année qui passe. Le contexte me motivait particulièrement à ne pas décevoir ou déplaire et la crainte de perdre l’attention de mon interlocutrice et d’être rapidement écarté était bien campée en arrière-plan.

Au fur et à mesure que l’intrigue se dévoilait devant moi, que nous étalions les atouts de notre personnalité, une bulle se créait autour de nous, effaçant la présence des convives et même la nourriture, encore fumante et surtout délicieuse qui attendait avec impatience nos fourchettes gourmandes. Pourtant, à mesure que cette bulle imaginaire s’intensifiait, l’impression de vivre un moment particulièrement agréable, voire intime, avec cette jeune femme de plus en plus intéressante au-delà de ses paupières; véritables plages dorées sur lesquelles reposaient de petits soleils lumineux; il se développait en moi un certain doute et une angoisse latente. Cette situation où j’espérais pouvoir entretenir l’intérêt qu’elle me portait ou, à tout le moins, créer bonne impression, réveillait une crainte douloureuse en moi, comme le désagrément acide du jus de citron sur une coupure oubliée. Il y a certains sujets que je me garde d’aborder lors d’une première rencontre, probablement comme tout le monde; l’ampleur de mes dettes, mes échecs les plus retentissants, les passages les plus honteux de mon passé. Pourtant, d’autres choses sont impossibles à dissimuler, même si je préfèrerais ne pas en faire mention, je ne peux les éviter; elles font carrément partie de moi. Cette jeune femme qui m’intriguait et m’intéressait, elle et ses membranes oculaires soyeuses et hypnotisantes, me faisait un effet corrosif et à mesure que nous bavardions, sachant qu’approchait inexorablement l’instant où je devrais expliquer la raison pour laquelle je refusais tous les desserts bien crémeux que l’on m’offrait ce soir, je commençais à trembler intérieurement. 

- Pourquoi tu ne prends pas de dessert? Tu es allergique? Me demanda-t-elle finalement. 

J’allais enfin pouvoir me libérer de cette ambigüité intolérable, dévoiler cette ombre qui délave les couleurs de ma vie. Je devais maintenant dissiper l’incompréhension qui faisait plisser les sourcils de cette charmante personne à chaque fois que je déclinais poliment les délices qu’on me proposait. Elle me regardait, interrogative, attendant ma réponse, curieuse, mais sachant qu’elle venait de toucher à quelque chose d’inusité et de désagréable, je présumais. En fait, je présumais bien des choses à ce stade-ci. Je la fixais, hésitant, faisant semblant d’être surpris par la question pour m’acheter du temps, comme si j’avais un choix de réponses, comme si je pouvais m’inventer une joyeuse raison; mon rire nerveux rendait le moment encore plus insupportable, amplifiant l’attention qu’elle portait désormais à ma réponse, pendue à mes lèvres, décuplant du même coup le malaise et la crainte que je ressentais; la crainte d’être exclut, d’être rejeté, de ne plus appartenir au même groupe qu’elle, de devenir quelqu’un d’autre à ses yeux. La crainte d’être blessé. 

- J’attends une greffe de rein et je suis en dialyse alors j’ai un régime très strict. Que j’ai répondu sur un ton presque enjoué, rempli de gêne.

En prononçant ces mots, j’ose à peine la regarder. J’ai trop peur de voir une réaction se dessiner sur son joli visage qui pourrait me faire mal. Pourtant, elle ne semble pas du tout perturbée par ma réponse. Cela me détend légèrement et je continue à l’observer, j’attends de voir si elle me sortira une remarque puante de pitié, une de ces remarques de fausse empathie, mais d’ignorance bien réelle, qui inspire les plus violents châtiments. Le fameux « ho! Pauvre toi! » qui tue l’âme et qui me rend fou de haine; ces quelques mots médiocres qui ont la force de damner instantanément. Ces quelques mots qui trahissent à eux seuls l’incompréhension totale de son auteur et qui rejettent violemment l’essence de l’être qui existe malgré la maladie, à cause de la maladie. Comme si elle n’était pas suffisamment blessante en elle-même, il fallait, à l’occasion, que l’on vienne me rappeler, avec toute la théâtralité d’un film de série B et la sensibilité d’un accident d’auto, l’apitoiement que je devrais ressentir chaque fois que l’on me parle de santé, soulignant forcément la misère qui m’afflige. Sous mes dents sa jugulaire ; rouge sur fond blanc comme sa peau sans vie. Je la tue comme elle tue mes ambitions.

Je divague une fois de plus, me perds en rêvasseries à créer des scénarios catastrophe, loin de celle, qui avec ses yeux pétillants et leurs rideaux de soie, redouble plutôt d’attention après ma réponse hésitante et me questionne avec intérêt sur mon régime, sur mes restrictions, mes traitements, ma vie. Elle ne s’est pas refermée, au contraire, elle s’ouvre à ma condition particulière qui a piqué sa curiosité. Tout comme moi, il y a déjà quatre ans, elle entre à pieds joints dans le cœur du sujet afin d’en comprendre la nature, refusant le refuge de l’ignorance et du déni. Il est si simple de diaboliser et damner grassement afin de se dissocier complètement de cette situation, mais tout comme en appeler à une manifestation divine imposant une épreuve testant la ténacité de la foi, cela ne protège qu’un temps. Il faudrait être un peu con aussi pour s’en remettre à la grâce de Dieu considérant que notre fascination nous a fait perdre mille cinq cents ans de progrès scientifique et qui sait, peut-être un moyen de nous guérir. Il n’en reste pas moins que je ressens un besoin de clarification, de compréhension, de sens, après tant de bouleversements que cette chose hideuse provoque. Alors qu’elle entame un gâteau triple chocolat orné de copeaux enroulés sur eux-mêmes, elle me confie avoir, il y a déjà un moment, été aux prises avec une maladie. Étrangement, c’est toujours avec la même stupéfaction que je croise de jeunes personnes malades, signe que peut-être je n’accepte pas encore, malgré les années, qu’une telle loterie malchanceuse puisse se foutre avec tant d’allégresse du concept de justice que nous chérissions à la manière d’un commandement universel. Ni justice ni principe d’égalité ne gèrent la maladie : elle sévit comme le psychopathe armé dans une école secondaire, agissant sous les pulsions d’un égoïsme parasitique, qui se termine inévitablement en la destruction à la fois de l’hôte et du passager. Elle me regarde songeuse, ajoutant entre deux bouchées chocolatées, qu’on a beau rager et maudire, cela ne fait que donner des munitions au mal qui nous habite, pas tant à la maladie comme telle, mais à tout le reste, à notre capacité à trouver son bonheur, à composer avec elle plutôt que nous battre contre elle. Ce n’est même pas une question de l’accepter, mais de s’adapter. Elle touche dans le mille. La bulle qui nous englobe s’opacifie d’un cran, effaçant d’autant plus les distractions alimentaires qui nous cernent et sa lucidité m’attire soudainement follement. Il y a de ces situations qui sont presque impossibles à comprendre si on ne les a pas vécus de proche. 

Pendant une partie de la soirée, elle m’interroge sur les aspects techniques de mes traitements. Je mentionne rapidement mon accès veineux central sans insister sur les détails. En fait, je préfère ne pas trop en parler. Ça me confronte au vif du sujet, dans le concret, dans la réalité brute. La maladie est tellement un concept vague, subjectif presque, mais les moyens de la combattre ou d’intervenir sur ses conséquences sont bien réels, frôlant la barbarie dans la forme. Il n’y a rien de tel qu’un boyau planté dans le cœur pour vous mettre en appétit. Sans compter que ce foutu cathéter mine férocement la confiance en mes capacités d’attraction, de séduction; il est toujours là, me perforant la poitrine, allongé sur mon torse comme un signet gardant la page d’un dictionnaire à la lettre « M » pour « malade », qui surligne le « maux » a grand trait de marqueur jaune fluo. Un adjectif maudit qui me qualifie, qui me bouscule en dehors de la normalité, cette étiquette qui m’est apposée, qui pervertit mon identité, qui me rend confus. Les cicatrices sur mon corps et l’accès veineux que je porte à la manière d’un affreux bijou n’infligent jamais autant de coups que les doutes que je m’impose, mais ils me les rappellent sans cesse. En cette ère d’intense productivité, de sports extrêmes, de consommation à outrance et de « bon vin entre amis », je suis dépendant des traitements et d’un système fort contraignant. Déjà que je n’étais pas la personne la plus socialement habile, les obstacles sont maintenant magnifiés exponentiellement. Cela donne un coup à l’égo du trentenaire qui débute sa vie adulte, que les prochaines années devaient être synonymes, de « trouver une job dans mon domaine », fonder une famille, posséder un condo tout neuf, un animal de compagnie et possiblement une voiture européenne, peut-être même une hybride. Ho! 

- T’es sarcastique ou tu veux vraiment que je te fasse des plans de condo? Me dit-elle, le sourire en coin et le sourcil droit légèrement relevé, signe d’une complice espièglerie. 

- Dès que j’aurais trouvé mon animal de compagnie, j’irais te voir pour que tu fasses les plans en conséquence, question de matcher le design. Son rire sème la pagaille dans ma poitrine. 

Il ne m’en faut pas plus pour m’encourager, pour me convaincre à persévérer : un éclat de rire me fait oublier la rareté également volatile de l’énergie qui m’est allouée; un regard complice et je deviens aveugle aux restrictions alimentaires; un échange authentique, bien que celui-ci orbite abusivement autour de mes petits problèmes, générant un malaise supplémentaire s’inscrivant ainsi dans mon recueil personnel, comble l’abysse de ma solitude. Je ne recommande à personne de faire une saloperie de glomérulonéphrite, encore moins quand la vie est plaisante et qu’elle nous berce affectueusement. Ce n’était pas mon cas lorsque j’ai reçu le diagnostic et honnêtement, je ne regrette rien. C’est un drôle de paradoxe dans lequel je suis pris, à l’image même de la nature de l’affection; réaction auto-immune inexplicable, ironique autodestruction provoquant l’insuffisance rénale irréversible. Cette dualité qui me forme, m’entraine dans une recherche identitaire me paraissant encore infinie; elle me pousse à trouver le confort, le bonheur tout en me barrant la route par divers obstacles. Plus je tente d’identifier la part de mon identité que la maladie et ses conséquences influencent, plus je me perds en analyses sociales et introspections étourdissantes. J’ai l’impression de me chercher dans une pièce remplie de miroirs. Même les plaisirs anodins comme ce repas entre amis et cet échange, ou encore la sensation de bonheur si légitime que l’on ressent en amour est entachée par le doute d’être quelqu’un que je ne suis pas. Il m’arrive même de me questionner sur mon passé, sur le « avant la maladie », si j’étais différent, si mes amis me perçoivent différemment, si je suis toujours la même personne. Je n’ai pas perdu la mémoire pourtant, mais je n’en sais rien, je ne perçois que des bribes de mon passé et je ne suis même plus certain de me souvenir avec exactitude de la personne que j’étais. J’ose à peine penser à ce que la greffe va provoquer en moi. Un autre chapitre, de nouvelles angoisses, une nouvelle identité peut-être? La maladie provoque et impose ces énormes remises en question. Elle efface des souvenirs et embrouille le futur.

- Si tu veux, imagine-toi être grippée en permanence pendant trois ans. Tu sais qu’à un moment la grippe va guérir, mais tu ne sais pas quand. À un moment tu ne sais même plus c’est quoi ne pas avoir la grippe. Tu regardes les autres qui ne se mouchent pas et qui sont pleins d’entrain et tu te dis que ça doit vraiment être cool d’être comme ça. Tu vis d’espoir dans une attente constante que le moment se réalise et ça paralyse. Je sais pas si tu comprends ce que je veux dire? 

- C’est difficile à concevoir, mais je peux peut-être comprendre. C’est pas la meilleure comparaison, mais comme j’ai pas d’autres références je dirais que c’est un peu comme être enceinte, mais juste les bouts pas l’fun. Tu sais qu’après une couple de mois tu vas revenir plus ou moins à la normale, mais en attendant tu t’habitues pis tu oublies presque comment c’était avant la grossesse.

- Oui j’imagine! C’est ça que je trouve tough, c’est impossible à communiquer tous ces sentiments qui sont là, je me sens tellement seul malgré l’appui de mes amis, mes parents. Faut vraiment le vivre pour le comprendre. Pis bin moi je ne saurais jamais non plus c’est quoi être enceinte! 

La soirée a passé comme un coup de vent et c’est déjà l’heure de se quitter. Avant que chacun ne reprenne sa route, je prends un instant pour observer une dernière fois mon acolyte d’un soir. Sa beauté délicate me berce doucement et c’est avec plaisir plutôt qu’avec désir que je la contemple passivement. Dans ma poitrine, mon cœur se calme, ma respiration prend son temps et la plénitude s’installe. Le temps ralentit de plus en plus jusqu’à pratiquement s’arrêter et la bulle qui nous bordait se dissout en cascades imaginaires, illuminant la pièce tout entière d’une chaleur réconfortante. Les convives restés dans la pénombre jusqu’alors apparaissent dans la pièce comme autant d’astres dans une galaxie, rayonnants et beaux. Sur ma peau, je sens l’effet de leur force d’attraction; dans ma poitrine, la gravité de leur amour; dans mon âme tout entière, la solitude de leur orbite. Mes sens sont aiguisés, surnaturels, et le moment m’appartient tout entier. Mon regard se pose à nouveau sur ma jolie complice, mais je ne discerne plus le charmant détail de ses paupières; je ne vois que ma réflexion sur son visage. Tout bascule. Je ne comprends plus. Je comprends tout. Dans l’épiphanie du moment, les voiles de brume diffamant mon esprit se dispersent. 

Le film de la soirée saute, m’extirpant du bonheur artificiel halluciné dans lequel j’étais plongé. Je suis là, maintenant. Il n’y a plus d’ambigüité dans mon regard et je constate avec effrois que tout ce temps, mes yeux projetaient les ténèbres plutôt qu’absorber la flamboyance qui m’entourait. En elle j’ai projeté mes désirs, j’ai projeté mes fantasmes même. Je commence tout juste à comprendre l’ampleur de la méprise. Elle est la toile d’argent sur laquelle défilent à trente images secondes les richesses possibles d’une vie espérée. Je vis d’espoir, je regarde le monde avec espoir, je l’ai désirée désespérément, mes yeux ne voient plus que les images qu’ils projettent; rendent mes sens futiles aux stimuli présents, espérant jusqu’à l’aveuglement un futur bienfaiteur. Partout où je regarde, je vois les possibles, les interdits, les limites de ma situation, de ma maladie. Tous ceux et celles que je croise me font penser à cette chose que je ne peux pas faire, que je voudrais faire, que je pourrais, peut-être, faire un jour, si tout se passe bien sur la table d’opération, si je n’ai pas de complications, quantité de « si » et de « mais » à en perdre la raison : une angoisse ridicule sur laquelle je ne peux absolument rien. Ce soir ne fait nulle exception; voilà que dans cette pièce, à cet instant où j’admire passivement les traits délicats et fins de ma voisine de table, je me heurte sur le reflet de mes espoirs. Suis-je soudainement envieux, jaloux ? Suis-je en train de m’apitoyer sur mon sort ou suis-je finalement bien lucide, éveillé? Je suis prisonnier et gardien d’un palais de glaces, cerné par des clones étincelants comme autant de distractions, imposteurs des possibles, falsificateurs de rêves et je me fracasse la figure à chaque faux pas, à chaque pas qui tente de me devancer, à chaque « si » et « mais » qui m’éloigne vicieusement du présent. Comment alors vivre une vie saine lorsque chaque sonnerie de téléphone éveille les espoirs les plus fous? Comment faire pour me sortir du palais des glaces si ce n’est qu’en fracassant chaque réflexion mensongère devant moi? Je ne peux briser ce que j’espère et je ne peux espérer ce qui n’est pas. Ce labyrinthe aux multiples visages ne disparaitra comme par magie après la greffe, j’en suis maintenant convaincu. Mon trône de verre m’est assigné à vie. Je dois m’y faire. Je porterais toujours en moi ce fardeau, celui d’avoir vécu quelque chose d’extraordinaire, malgré moi. 

Les yeux du petit roi se ferment, révélant l’horizon, lumineux et inconnu.

samedi 18 octobre 2014

Pour une bouchée de pain.

Nous flânions déjà depuis une bonne heure dans le café, faisant mine de déguster nos expressos, bien plus intéressés par le boost de caféine qu’ils devaient nous procurer que par la saveur du créma, quand mon ami entonna un chant intestinal annonçant l’heure du lunch. 

- Faque qu’est-ce qu’on mange? 

Ça devait faire trois ans qu’on ne s’était pas parlé, ni téléphoné, ni même échangé par courriel. C’est par hasard à deux degrés de séparation, par le lien d’un ami d’un ami sur Facebook qu’on a repris contact. On s’est perdu de vu au moment de terminer nos études; lui a trouvé un emploi assez rapidement à la fin du bac, moi j’ai plutôt tenté la maitrise avant de recevoir un diagnostic d’insuffisance rénale, mettant un terme définitif à mes études en développement organisationnel. On avait passé la dernière heure de ces retrouvailles à parler essentiellement de sa réussite professionnelle et de son bébé flambant neuf, un petit garçon du nom de… Merde, j’ai déjà oublié le nom de son gars. Typique. Dans tous les cas, on n’avait pas du tout abordé le choquant sujet de ma situation de malade dialysé et plus précisément, au moment qui nous concerne, d’handicapé alimentaire. Le régime que je dois suivre est extrêmement contraignant et mon attitude obsessive à le suivre à la lettre n’aide en rien ma capacité à partager un repas entre amis. 

- Ils ont des bons sandwichs ici, proposa mon ami avec entrain. 

J’esquivai la proposition en argumentant que payer 12$ pour un bout de pain et deux tranches de jambon allait à l’encontre de mes valeurs et que de toute façon, j’étais pas mal cassé en ce moment. Dans les faits, j’essayais plutôt d’éviter le sel des viandes froides, le potassium des tomates et le phosphore du fromage. On s’est entendu pour aller ailleurs, marcher un peu et profiter d’une des dernières belles journées d’automne en ville afin de poursuivre le résumé des années postuniversitaires.

- Heille! Une bonne pizza, ça te tente-tu? Il me semble que ça serait bon dans yeule! 


Bon décidément, je n’allais pas m’en sortir aussi facilement. Je devais intervenir et péter sa bulle gastronomique au plus vite avant qu’il ne passe au travers de la liste de toutes les maudites affaires que je ne peux pas manger et qui me manquent affreusement. 


- Écoute, faut que je te dise… Je t’ai pas dit, mais depuis la dernière fois qu’on s’est vu, y’a pas mal de choses qui ont changé. Tu vois, y’a quatre ans j’ai commencé des traitements de dialyse, pis là bin j’attends une greffe de rein, faque j’peux pas manger n’importe quoi.
- Ho! Ok!... Criss ok!... Wow! Pas cool… Ok, je m’attendais pas à ça, désolé… 
- Bin non man, désole-toi pas, tu pouvais pas savoir, pis tsé je vais bien là, c’est juste que de la pizza pis toute ça je peux vraiment pas en manger. 


Une fois le choc initial passé, j’ai senti que quelque chose avait changé dans son regard, une espèce de gêne, de honte même. Je crois qu’il venait de se rendre compte qu’il avait passé la dernière heure à énumérer les grands moments de sa réussite personnelle et professionnelle sans se douter que je n’aurais aucune munition pour répliquer. Je l’avais plutôt désarmé. En même temps je ne pouvais lui en vouloir d’avoir voulu démontrer l’étendue de son bonheur; on est tous un peu pris dans cette tendance à mettre plus d’importance à prouver qu’on est heureux qu’à le ressentir et en profiter. 

- Ok, alors qu’est-ce que tu peux manger?
- All right, je vais te dire ça, t’es prêt ? Je vais plutôt te dire tout ce que je dois éviter! Attache ta tuque. Ok, il faut que je fasse bin attention à quatre choses : le phosphore, le potassium, le sel et les liquides. Le phosphore c’est le plus simple, mais c’est le plus chiant. Ça touche carrément des groupes alimentaires, alors pas de produits laitiers…

- Pas de fromages ?! Caliss ça part bien! 

- Oui je sais, mais attend, t’as rien entendu encore. Donc, pas de produits laitiers, pas de légumineuses, pas de grains entiers, de noix et graines…

- T’as toujours été un gros mangeux de graines en plus!

- Ha bravo ! Très habile, merci! Bon ta gueule esti d’épais! Je continue : pas d’abats. De toute façon plus souvent qu’autrement c’est dégueulasse, ni de chocolat ni de sirop d’érable. Ça, c’est juste pour le phosphore.

- Tabarnak ! C’est mongol. 
- Oui, c’est pas évident, mais on s’ajuste. Ok, maintenant pour le potassium ça se complique parce qu’y faut connaitre les fruits et légumes par cœur.
- Genre les oranges, les bananes pis ces affaires-là?
- Oui c’est en plein ça; pas d’oranges, pas de bananes, de kiwi, de tomates, d’avocat, d’épinards, de courges, sauf la courge spaghetti qui est incroyablement insipide de toute façon, cochonnerie qui goûte la marde que je sais pas pourquoi ça existe caliss ! Pas de mangues, de chou-fleur, de patates, pis etcétéra. Mais là, fais juste penser à la combinaison pas-de-patates-pas-de-tomates-pas-de-fromage, c’est comme toute la cuisine italienne et toute la junk qu’on trouve partout! 

- Ayoye, comment tu fais? Tu manges quoi? 
- Pas mal tout le temps la même affaire en fait, mais ça c’est plus parce que j’ai plus le courage de faire des trucs adaptés comme j’ai longtemps fait, alors ça tourne pas mal autour d’une protéine, genre poulet ou porc en spécial; parce que chu pauvre en plus; une céréale comme du couscous ou du riz blanc et un légume; un des six légumes que j’achète tout le temps soit courgette, soit poivron, soit aubergine… En tout cas, tu vois le genre, c’est pas mal ça. 



En arpentant les rues du Mile-End, nous sommes passés devant nombre de petits cafés qui proposent des menus vegan et végétariens. C’est cute et tout, bien à la mode tout en revendiquant un futur écologique, biologique et équitable, mais ça représente pas mal tout ce que je ne peux pas manger dans le royaume des légumineuses et de la tomate bien mûr. Parfois aussi, la prolifération soudaine de cette offre éthique sent l’opportunisme crasse, le trend du mois et une manière de surcharger le prix d’un burrito aux fèves noires à la clientèle consciencieuse. C’est donc dans l’ambivalence entre optimisme et cynisme que nous avons arrêté notre choix sur un sandwich au poulet portugais; sans doute bien trop salé, comme tout ce qu’on aurait pu manger en restauration de toute façon. 

En revenant vers l’avenue du Parc, on en a profité pour aller se prendre un bagel tout chaud et s’assoir un instant sur un des bancs publics qui meublent les trottoirs. Ce n’est sans doute pas possible de rattraper trois ou quatre ans de retard en quelques minutes et c’est plutôt dans un silence complice que nous avons dégusté la mie tendre et inimitable des bagels de Montréal. C’est étrange, mais je crois que ça lui a fait du bien à mon ami, qu’on soit comme ça, sans mots pour se comprendre, mais liés par la contemplation du moment présent; seul instant dans sa semaine où il n’avait rien à prouver à personne, rien à démontrer, pas besoin de tenter de me convaincre à quel point son travail était stimulant ou que son enfant le rendait gaga de bonheur. Peut-être qu’il se consolait en se comparant, mais même si c’était le cas, j’avais vraiment l’impression qu’on se retrouvait pour de vrai, dans le réel, sans les artifices d’un profil virtuel. On a humé les odeurs de torréfaction et de feuilles mortes, la bouche pleine de pain, observant les passants sans même les commenter. 



samedi 4 octobre 2014

Quand la vie fait des jambettes.

Aussitôt que j’ai ressenti la pression dans ma poitrine, je savais que quelque chose n’allait pas. J’ai tout de même attendu de voir si ça allait passer, malgré l’absolue conviction qu’il s’agirait d’un véritable malaise d’ici peu. Ce sont de nouveaux symptômes qui m’ont confirmé l’anormalité de la chose. Mon infirmière avait à peine entamé la procédure pour me débrancher de la machine de dialyse que la douleur, pas féroce, néanmoins déplaisante, comme un rot bien coincé au-dessus du sternum s’est imposée dans ma cage thoracique. Puis, rapidement, j’ai eu du mal à respirer, cherchant à remplir exagérément mes poupons en vain. 

- Ok, it doesn’t feel right, I told my nurse. 

Je voyais bien qu’elle avait déjà compris que ça n’allait pas. Du tout. D’une seconde à l’autre, le simple traitement de dialyse routinier s’est transformé en situation d’urgence, déclenchant un protocole qu’il vaut toujours mieux éviter. Les rideaux se sont refermés autour de ma chaise, l’assistant est venu nous rejoindre avec l’électrocardiographe alors que mon infirmière apposait un saturomètre au bout de mon index afin de vérifier si mon sang était adéquatement oxygéné. Pendant que l’assistant, le visage affichant une sévérité que je ne lui connaissais pas, s’affairait à me coller sur le corps les pastilles permettant la connexion de l’électrocardiogramme, le saturomètre indiqua un taux qui correspondait à la fois au teint blêmit de mon visage et au bleu de mes lèvres. L’ensemble de mes pores de peau se dilatèrent pour exprimer une abondante transpiration. On me brancha immédiatement sur l’oxygène, ce qui n’empêcha pas à ma vision périphérique de s’embrouiller étrangement, comme si une sorte d’huile filtrait la lumière avant d’atteindre ma rétine. J’informais mon équipe, entre deux respirations exagérément profondes, que j’allais probablement perdre connaissance.

- Ça va bien aller Phil, on est là.

Étrangement, ça m’a fait rire intérieurement, n’ayant indéniablement pas la capacité de le faire physiquement : j’étais bien trop concentré à chercher mon air, à ne pas tomber dans les pommes, comme si je pouvais faire quoi que ce soit afin d’éviter cette possibilité. Ce n’est pourtant pas parce que je luttais avidement pour rester conscient que cela allait m’empêcher de soumettre cette affirmation loufoque à une analyse déplacée. Je n’ai pas un grand sens de la répartie; je suis plutôt un « analytique » qui prend son temps et qui macère les idées dans le bouillon cognitif. Même dans une détresse évidente, je n’allais pas changer ce trait caractéristique. Alors qu’une certaine panique contrôlée tourbillonnait autour de moi; prises de sang, électrocardiogramme, oxygène, regards anxieux et téléphone à je ne sais quel département, j’étais d’un calme qui me rendait perplexe. Enfin, intérieurement, car de l’extérieur, tout mon corps luttait contre le malaise et mon regard devait sans doute donner l’impression d’un affolement incontrôlable. Le «Ça va bien aller Phil » résonnait encore chez moi comme une bonne blague qui fait éclater de rire des heures après l’avoir entendue. Je me disais qu’il n’en savait rien si ça allait bien se passer, l’imaginant même penché au-dessus de mon torse pour tenter de me réanimer dans un futur rapproché. La mort m’a fait un petit clin d’œil, question de me rappeler qu’une fois dans sa mire, elle ne me lâcherait pas. J’y ai pensé à la mort. J’y ai presque cru. Je me suis dit que c’en était fini, que mon temps était arrivé. C’est un peu bête comme fin, mais je n’y pouvais rien. Je n’avais pas peur, mais je trouvais ça dommage. J’ai même eu une pensée pour ma mère, me disant qu’elle allait être dévastée et que je me sentirais vraiment poche de lui faire ça, maintenant. C’est tout de même étrange de penser à tout ça avec autant de résignation. Ça n’a duré que quelques secondes, mais c’était amplement suffisant pour que les possibilités funestes se déploient devant moi.

Ma respiration a progressivement réussi à m’alimenter de nouveau convenablement en oxygène, faisant plutôt place à une toux sèche provoquée par un picotement dans la gorge; un troc avantageux qui me permit de retrouver une certaine stabilité. Avec ces quelques facultés recouvrées, je pouvais enfin me remettre à parler presque normalement, étant seulement interrompu par le réflexe tussigène. Le gros du malaise avait duré une quinzaine de minutes, je crois. Le temps n’ayant plus d’emprise sur moi dans de telles circonstances, je suis incapable de l’évaluer avec certitude. Peu importe, la tempête s’était calmée et c’est la seule chose qui comptait. Ma soirée, qui devait se terminer par un repas chaud dans le confort de mon salon, allait inévitablement se déplacer à l’urgence; la douleur à la poitrine persistait, ma vision périphérique souffrait toujours de distorsion et j’étais aux prises de toux sèches. J’étais essentiellement sorti d’affaire, mais il fallait tout de même enquêter. Je crois que j’aurais même pu me rendre à l’urgence à pied, mais c’est plutôt en fauteuil roulant, accompagné par mon équipe de soin, que je m’y suis rendu, empruntant des raccourcis secrets, des couloirs sombres dominés par les principaux conduits de l’établissement, donnant à mon périple hospitalier des allures de film d’horreur industriel. 

L’urgence est un monde à part; on y retrouve, j’ai l’impression, les infirmières les plus jeunes, celles qui ont le plus d’énergie, qui sont avides de connaissances et qui à force de côtoyer multitude de complications et de symptômes, accidents divers et une dose quotidienne de traumas et de mortalité, n’ont d’autre choix que d’être désensibilisées en accéléré. C’est peut-être pour cela qu’elles ont souvent le regard vide, mort presque, drogué par l’inlassable flot de mutilations corporelles. Ce soir-là, fort probablement comme tous les soirs, l’urgence était bondée. On m’a transféré sur une civière et on m’a transporté dans le cœur de l’action où les malades et les blessés sont alignés côtes à côtes, stationnés, branchés, évalués, auscultés, piqués, espérant, insomniaques, que les maux passent. Les allées étant toutes occupées, j’ai eu l’immense chance que l’on m’amène dans une chambre d’isolation où était entreposée une grosse cage métallique, remplie de matériel médical et protégée par une pellicule plastique sur laquelle une feuille indiquait au gros marqueur : « Pour Ebola seulement ». Décidément, la vie à un drôle de sens de l’humour. Non loin de moi, une vielle patiente s’agitait en plaintes inintelligibles que seule son infirmière semblait pouvoir déchiffrer, ce qui occupa une partie de ma soirée. Où était-ce déjà la nuit? On vint me poser un cathéter au bras afin d’effectuer des prises de sang que l’on allait répéter aux trois heures environs et éventuellement m’injecter un agent de contraste au moment de passer une imagerie thoracique. Malgré l’inconfort rigide de ma civière, l’incessant bruit de fond des machines et du personnel, j’ai pu dormir quelques heures. 

À mon réveil, l’urgence s’était considérablement vidé de ses patients ce que j’imaginais être bon signe. À ma grande surprise, ma néphrologue est apparue sur l’unité et s’est dirigée immédiatement vers moi. 

- How are you Philippe? How are you feeling? 

C’est incroyable cette dévotion professionnelle. Je trouve cela admirable. 

- I’m fine, thank you! 

- Ok, good, I’m glad you’re all right. So we did some tests to verify if you did something like a small cardiac arrest and it’s all negative. 

C’est déjà ça de gagner.

- What I think happened is that a small clot formed at the end of your catheter and when your nurse flushed with the saline, it detached it.

Ça serait donc ça, un caillot de sang, probablement microscopique, qui se serait formé au bout de mon cathéter et qui se serait détaché au moment d’effectuer le rinçage. Ça ou une bulle d’air, mais cette hypothèse est difficilement défendable, car je n’aurais pas souffert de troubles de la vision. Non, ça devait être un caillot. Certainement microscopique, car je ne serais plus là autrement pour témoigner de tout cela. Merde. Ça commence à être un peu trop sérieux tout ça. 

- Philippe, you’ve got to get rid of the catheter. Even if we change it, it wont prevent another clot to form. 

Cette suggestion, qui m’aurait choquée il y a quelques heures à peine, résonnait désormais autrement. Ma docteure faisait référence au remplacement du cathéter par la fistule, celle que je m’étais efforcé de chasser irrationnellement de mon esprit, répugné par la mutation corporelle qu’elle imposait et qui aurait compromis mon intégrité physique causant, je présumais, un plus important traumatisme émotionnel que le cathéter ou la greffe. Avant même que ma néphrologue vienne me reparler de cette option maudite, je crois bien qu’un glissement émotionnel avait déjà débuté progressivement. Parfois, les faits, les statistiques et toutes autres données qui devraient nous convaincre d’agir dans une direction sont simplement insuffisants pour surmonter le poids d’une résistance émotionnelle. Je crois que j’ai longtemps tenté de me convaincre qu’après la greffe, ma vie serait normale, qu’une fois le cathéter retiré, il ne resterait pratiquement plus de traces de ce passé affligeant. Je me suis menti. Et je l’ai toujours su. J’ai voulu y croire, mais cette fois j’accepte que ma vie ne soit jamais plus normale. Je n’aurais jamais une vie professionnelle normale, je n’aurais jamais une vie familiale normale, je n’aurais jamais une vie de couple normale. Je n’aurais jamais une vie normale et c’est correct ainsi. Ce n’est pas une fistule de plus qui va changer tout ça. Ce n’est pas une greffe non plus.

Je me souviens, à l’école primaire, j’étais un ptit criss bien énervé dans la cour de récréation, mais maudit que j’étais bon pour anticiper les jambettes de ceux qui voulaient me faire trébucher dans ma course, sautant par-dessus les jambes de mes adversaires avec agilité et arrogance. La vie peut m’envoyer toutes les jambettes qu’elle veut. Elle peut même parfois arriver à me faire tomber, cela n’a pas d’importance, à chaque fois, je vais me relever et continuer ma course simplement pour avoir la satisfaction de ressentir encore une fois la fierté triomphante d’éviter la prochaine embûche.

dimanche 30 mars 2014

La constance des variations.

Le regard perdu, je fixe les néons qui m’observent passivement, m’irradiant doucement d’une lumière grisonnante et froide. Le carillon de l’alarme a résonné, attirant à mon chevet mon infirmière attitrée. Toujours hypnotisé par les rangées de néons qui n’ont pas bronché, je me sens fondre lentement sur ma chaise rembourrée. Parfois, je m’amuse à croire que la dialyse me permet d’atteindre un état zen, mais la fin de chaque traitement me rappelle qu’être zen signifierait un progrès: j'atteins plutôt l’état de liquéfaction. Ma fascination pour l’éclairage grinçant de l’hôpital est perturbée par le travail de l’infirmière qui, lorsqu’elle presse la seringue de salin afin de rincer mon cathéter, envahi d’une nuée mi-salée, mi-métallique, ma gorge et mes narines. Je plisse les yeux sous l’effet mentholé du soluté. L’opération se répète, puis l’infirmière enchaîne avec une solution au citrate, inondant immédiatement mes papilles d’un nuage acide et fort désagréable. Ceci ne dure que quelques instants; l’espace d’un souffle suffisamment long pour me dégoûter légèrement. Puis, c’est terminé, je peux finalement retourner à la maison. C’est à ce moment, une fois la distraction disparue d’avoir une presque inconnue manipuler mon excroissance artérielle, que je me retrouve seul avec ce corps drogué et cet esprit éperdu. Et je flotte dans un vide d’une lourdeur insupportable, traduction corporelle d’un silence si profond qu’il en devient assourdissant. Mourir ressemble peut-être à cela? Cet épuisement singulier qui ne rate aucun de ces rendez-vous. Mais ce n’est pas moi qui quitte mon corps, mais bien mon corps qui me quitte.

Il y a ces journées où je voudrais tout arrêter, me laisser porter par je ne sais quelle vague humaine qui me prendrait par la main et me dirait: Je m’occupe de tout. Il y a de ces jours où la moindre tâche, me laver par exemple devient un fardeau épuisant, où j’ai l’impression d’être enchaîné à un haltère. Ces journées d’horreur, où les embranchements devant moi se limitent à fistule ou cathéter. La vie devient lourde et le désespoir se multiplie à la solitude divisant mon estime. Le moindre regard pourrait alors m’écraser. Ces jours de noirceur, je lutte afin de ne pas me laisser emporter. Je voudrais refuser cette situation absurde, la regarder fiévreusement, serrer les poings jusqu’à m’en fendre les jointures et crier si fort que la douleur de mes poumons, se déchirants sous l’effort, m’empêcherais de ressentir la colère et la tristesse qui me noie. Je n’en ai toutefois pas la force. Malgré ces journées qui me semblent quotidiennes, j’endure et j’accepte, car mon futur et moi-même sommes remplis d’espoir et d’optimisme. Ils me tendent la main, celui que je deviens au fil des épreuves et celui qui m’encourage, au réveil de l'anesthésie.

À travers ces douleurs, ces détresses, il y a aussi ces étincelles, des parcelles d’énergies perdues, qui arrivent à moi et nourrissent la résilience. Des matins, tirés au hasard, où j’ai cette vitalité adolescente que je dois rapidement apprivoiser, tellement ses présences se font rare. Ces parcelles arrivent comme des souvenirs enfouis qui se révèlent soudainement et font voir des mondes possibles. Des journées où j’ai la force de soulever les haltères et la détermination de sculpter mon corps, l’appétit pour cuisiner un banquet et l’inspiration pour écrire une histoire. Une chance qu’il y a ces journées rassurantes, où un ami vient me chercher après un traitement assassin. Ces journées où le futur et le passé se conjuguent en présent. Il y a heureusement, des journées qui me font danser dans le salon, m’agiter comme un fou, simulant à la fois batterie et guitare dans une grande chorégraphie aérienne. Une chance et malgré tout, il y a ces journées de pur bonheur, où l’espoir se multiplie à la vie pour fractionner la mort; où quelqu’un se penche vers moi avec audace et déclare: Tu es incroyable; ces jours qui me permettent de croire que je pourrais conquérir le monde, conquérir des cœurs, briser des gueules et bâtir du beau. Lors de ces journées si précieuses, je me regarde m’observer dans le miroir et je n’y vois que là, maintenant, moi. Tout cela me fait sourire, satisfait et heureux.

vendredi 14 mars 2014

Fistule III: La vengeance.

Je sais, je sais, je ressasse toujours les mêmes choses. J'ai souvent l'impression de tourner en rond. Je suis aussi resté vague dans ce bout de texte, que je n'ai pas du tout l'intention de retravailler, car je n'avais pas envie de tout partager cette fois. C'est le mieux que j'ai à vous offrir! 


J’étais prêt. J’étais décidé à franchir cette étape. J’étais disposé à subir la transformation. J’étais même enthousiasmé jusqu’à un certain point d’aller dans cette nouvelle direction. J’étais excité à l’idée de mes futures nouvelles libertés. Toute cette préparation, cette transformation est le résultat d’un parcours long, intense qui m'obsède et mobilise toutes mes énergies créatives. Il n’y a pas une seule journée qui passe sans que je me questionne sur les options qui s’offrent devant moi. Je regarde mon cathéter veineux central, qui irrite mon artère, qui se positionne jusqu’à l’intérieur de mon cœur, mais qui surtout, encombre ma poitrine de ses longs tubes de plastique qui perforent ma peau et je ressens de plus en plus l’exaspération grandir en moi. Je le regarde me stigmatiser de l’intérieur, me pointer du doigt, m’étiqueter; je voudrais l’arracher pour le clouer au mur. En faire abstraction est impossible pourtant, il faut que j’y arrive dans une certaine mesure afin de m’en libérer et pouvoir m’exprimer pleinement. Ce serait peut-être plus simple avec une fistule artério-veinneuse.

J’étais donc prêt, décidé, disposé, enthousiaste même, excité jusqu’à un certain point de prendre cette décision et d’opter pour la fistule, cette opération toute simple qui consiste à relier une veine à une artère du bras afin d’en accroître le débit sanguin, permettant ainsi l’accès à la dialyse à l’aide d’aiguilles, de grosses aiguilles. Outre les risques diminués, je voyais soudainement en cette méthode qui m’a longtemps horrifié, un répit, un moyen de souffler un peu et de pouvoir regagner confiance l’espace d’un moment. Aujourd’hui, je ne sais plus. Encore une fois, je doute. La confiance est quelque chose qui se bâtit et se construit au fil des expériences et des rencontres. Cette ambivalence par rapport à la fistule, cette chose extérieure, ne peut plus interférer avec ce qui me définit intérieurement. 

Je me suis donc regardé de l’intérieur, au fond de l’âme; un exercice que je n’avais pas pris le temps de faire depuis des lustres, trop occupé à analyser, rationaliser, classifier et autres exercices cartésiens. Je me suis vu ne plus être là, ne plus être où j’aurais dû, laissant libre cours aux angoisses, aux incertitudes cancéreuses, aux frustrations et autres fléaux quotidiens qui nous affligent tous, prendre le contrôle sur ma vie, sur mon être. La personne aux commandes était ce doppelgänger ténébreux, s’alimentant de mes vulnérabilités les plus intimes, aveuglant l’espoir, paralysant le courage et refusant l’amour. Il suffit parfois d’une étincelle pour éclairer un monde. Ce soir-là, j’ai allumé une autre bougie. J’étais témoin de mon propre abandon et je me suis tendu la main, refusant les ténèbres.

samedi 30 novembre 2013

Dallas Buyers Club et moi (première partie)

Je suis allé voir Dallas Buyers Club, le dernier film de Jean-Marc Vallé (C.R.A.Z.Y., Café de Flore) mettant en vedette un Matthew McConaughey méconnaissable et sublime. J’ai été frappé par les nombreux parallèles que j’ai pu établir entre la vie de Ron Woodroof qui est dépeinte dans le film et la mienne. Woodroof était atteint du VIH/SIDA et il a combattu la maladie avec acharnement afin de ralentir la mort ou prolonger sa vie, selon le point de vue que vous préférez adopter. Pour ma part, je ne combats rien; j’ai été frappé et tel un délit de fuite ne laissant pour témoins que deux corps aux chairs nécrosées, deux reins aux fonctions anéanties, la maladie est passée et j’en subis aujourd’hui les conséquences. Je n’ai rien d’un cowboy texan macho et homophobe pourtant, l’expérience de vie imposée par la maladie me rapproche de ce Woodroof de manière improbable. 

Première partie: La Haine.


Je savais bien que quelque chose clochait avec moi et j’aurais sans doute misé sur une mononucléose ou une dépression ou quelque chose dans le genre et après avoir passé quelque tests au CLSC, j’allais enfin connaître le verdict. J’entrais dans la clinique où s’entassait une foule grippée, aux symptômes tout aussi inconfortables que bénins. Je les regardais morver et tousser en chœur, retenant mon souffle pour éviter d’inhaler un virus contagieux. J’imaginais déjà le docteur regarder mes résultats et me dire que rien ne semblait anormal, que j’avais simplement besoin de sommeil. On appela enfin mon nom ou enfin, quelque chose qui ressemblait à mon nom.

Je m’assis en face d’un petit asiatique grisonnant, au visage tapissé de rides et au regard endormis par une routine médicale composée de gorges irritées et d’oreilles bouchées et attendis qu’il mette enfin un terme à ce suspense inutile. Je voyais mal ce qu’il pouvait trouver à me dire mis à part les quelques conseils d’usage: bien manger, faire du sport, arrêter de fumer, dormir, surtout dormir. Il parcourut du regard les colonnes de chiffres qui interprétaient mathématiquement les divers composants de mon sang, soulignant à l’occasion de son doigt quelques données qui lui semblaient particulièrement intéressantes. Il analysa en silence, sans même émettre un soupir ou un quelconque signe que j’aurais pu capter, son visage marqué au fer d’un point d'interrogation, sinon inexpressif. Il restait dans sa bulle et je pouvais sentir le doute s’installer en moi tel un parasite s’enroulant autour de mon estomac et le serrant de plus en plus fort. Soudainement, c’était moi qui affichais l'expression la plus inquiétante. Il baragouina finalement quelques mots, brisant l’inconfort avant qu’il ne meuble complètement la pièce. Son français aussi médiocre que ses qualités de communicateur me permit tout de même de comprendre qu’une donnée indiquait un problème au niveau des reins. Il me présenta certaines données dépassant outrageusement les limites retrouvées dans le sang d’un humain normalement constitué et se tourna vers sa bibliothèque afin de consulter un ouvrage médical. Je sentais son inquiétude grandissante, bien qu’il sembla dépourvu de mots pour l’exprimer, et cela, de manière proportionnelle à l’impatience qui m’habitait dorénavant. J'observais le petit médecin, le nez penché au-dessus de son livre, et restai silencieux face à ce spectacle, secouant lentement la tête d’incrédulité, me questionnant sérieusement quant aux compétences de cet être qui m'apparaissait déjà dépassé par la situation. Bouillant intérieurement devant autant de maladresse communicationnelle, je sentis la haine m’envahir; une haine aussi forte qu’un tsunami, aussi brûlante qu’une coulée de lave, immergeant chacun de mes organes d’un poison sulfureux, embrasant mon cœur qui accéléra immédiatement, enflammant mon visage qui relâchât quelque goûtes de sueurs, tentant ainsi en vain de contrecarrer le flot émotionnel. Je ne savais toujours pas ce qui n’allait pas avec moi, mais le messager apportait une nouvelle suffisamment mauvaise pour vouloir lui en faire payer le prix. 

Je sentais le médecin agité de l’intérieur et pourtant, il semblait calme, compétent même. Il m’adressa finalement la parole et débuta un discours absolument confus, m’urgeant de consulter un néphrologue, répétant que mes tests n’étaient “pas bons” et que mes reins avaient un problème. Je me demandais s’il pouvait trouver une formule encore plus affolante ou si la qualité de son français n’aggravait pas simplement des propos qui originalement devaient être des recommandations. Je tenta en vain de lui extirper quelque conseils sur la démarche à suivre, mais il se contenta de répéter les mêmes mots, tout en me dirigeant vers la sortie, me pressant de prendre rendez-vous avec un spécialiste. 

Je suis sorti de la clinique, la rage au ventre, les larmes aux yeux, sacrant et méprisant sans personne pour m'entendre. Je détestais ce petit homme pour m’avoir annoncé que mes organes vitaux souffrait. Je pestais contre lui de ne pas avoir su me rassurer, ni même m'informer et de m’avoir abandonné sur le trottoir après avoir sublimé le scénario du lendemain heureux que je m'étais préalablement créé. Tout ça ne pouvait être vrai; j’étais trop jeune et trop en santé pour qu’une pareille chose m’arrive. Il devait se tromper. C’est ça! Il a dû se tromper ce sale petit incompétent! Les reins: ce sont les vieux qui ont des problèmes de reins, pas moi. Idiot.

En 1985 lorsque Ron Woodroof apprend qu’il est atteint du VIH, dans son esprit seuls les homosexuels pouvaient contracter la maladie. Que cela arrive à un hétérosexuel, un homme, un vrai, un mâle viril comme lui, ne faisait que trahir une erreur médicale. Qu’un médecin ose même présumer qu’il aurait peut-être eu des relations sexuelles avec un autre homme était la preuve même de son incompétence. Le réflexe de haine en est un de protection; on se protège comme on peut d’une attaque aussi grave à notre intégrité et je te comprends d’en vouloir à celui qui t'a livré le message. Je n’en ai jamais voulu contre la vie, ou enfin j’ai peut-être maudit le ciel quelques instants avant de me trouver une cible plus concrète. Tout comme toi Ron, j’ai immédiatement remis en question les capacités du médecin. J’ai même demandé un deuxième avis, mais il a fallu se rendre tous les deux à l’évidence: on ne pouvait plus continuer comme avant. Quelque chose était maintenant brisé en nous pour toujours.

samedi 5 octobre 2013

Rite de passage.

Je me sens doucement revenir à la réalité. Je quitte lentement l'état de sommeil et le temps d'un souffle, je me trouve à exister parallèlement entre deux mondes, flottant temporairement dans une confusion vertigineuse, comme cet instant où l'on atteint le point d'immobilité entre les deux mouvements d'une balançoire. J'ouvre finalement les yeux. Mon corps, encore immobile et fripé, s'étire et se réveil lui aussi, se remettant doucement du traumatisme de la veille. Même après tout ce temps, le choc du traitement ne s'estompe pas, me donnant cette impression de stress musculaire unique et incomparable. Je devance le soleil et me lève. Ce moment de la journée est sans doute l'un de mes préférés; j'active la cafetière électrique, je place une tranche de pain de la boulangerie au gril et une poêle sur l'élément du four. Je lance ce qui est devenu un rituel irremplaçable dans le quotidien de ma vie. Je tasse méticuleusement le café expresso dans son filtre, je retourne vers le four ajouter une lampée d'huile dans la poêle chaude et y casse un œuf qui y crépitera dans un instant. Le café coule, faisant apparaître son crema mousseux et réconfortant. Le gril fait retentir une note aiguë m'indiquant qu'il est temps de m'installer dans le salon et déguster, à la lueur du soleil qui me rejoint, ce qui est bien plus qu'un simple repas. 

Dans ma vie d'avant la maladie, cette vie qui me paraît de plus en plus étrangère, voire étrange, je ne m'entendais pas très bien avec le concept de routine. Dans ce passé trouble, elle était pour moi synonyme d'insécurité, méprisant même quelque peu ceux et celles qui en souffraient en s'enfermant dans ce mouvement répétitif quotidien. Avant même que j'eus le temps d'expérimenter cette abomination, mon corps me fit le coup de s’autodétruire et de m'envoyer à l'hôpital. 

Lorsqu'on est jeune et que l'on s'imagine vieillir, on se voit à peu près tous mourir après 80 ans dans notre sommeil, doucement, sans douleur. Jamais on ne se dit qu'un jour nous serons atteints d'une maladie à 30 ans! Puis, l'impensable arrive et nos repères foutent le camp. Tous ces scénarios méticuleusement fabriqués; cette job idéale, cette famille parfaite, ce bel appartement dans ce chouette quartier, cette routine, qui contrairement à toutes les autres, serait réellement plaisante à vivre; tous ces espoirs d'un futur douillet sont pulvérisés comme on claque des doigts. Le fabuleux destin à portée de main n'est plus, et avec lui, une partie de notre identité. Pourtant, la vie, elle, continue. Il faut se rattacher à quelque chose, il faut construire sur de nouvelles bases, remplir cette page blanche d'une histoire inédite. 

Les traitements arrivent finalement et le choc est grand, l'adaptation difficile, les contraintes omniprésentes. Rapidement, les traitements auxquels je ne peux échapper de toute façon deviennent le point central de ma routine; ils dictent mon horaire, décident de mes disponibilités et gèrent mon niveau d'énergie. Cette routine, aussi désagréable soit-elle, se transforme pourtant en un point d'ancrage dans la réalité et comme un phare dans la nuit, prévient de glisser vers les eaux mouvementées de la panique ou les sables mouvants de la déprime. Mais la routine n'est encore qu'un outil et ne me prémunit pas des erreurs de parcourt pour autant. La routine prend toutefois de plus en plus une place importante, je dirais même fondamentale. Déroger à celle-ci devient carrément risqué, car je suis encore brisé, fragile. Pendant un temps, je suis cette routine. 

La routine réconforte et stabilise, mais paradoxalement, par sa nature répétitive et quotidienne, elle finit par emprisonner. Celle qui m'ancrait autrefois, devient un poids qui m'entraîne vers le fond et se confond aux contraintes de ma vie. Jusqu'ici, je me laissais porter par ce courant immuable, aveuglé par le voile de brume qu'amène la maladie sur les espoirs et aspirations. Lorsqu'elle se disperse enfin, on s’aperçoit que l'immobilité était fort confortable, mais qu'il vaudrait mieux recommencer à avancer. Le changement de paradigme s'effectue au compte-goutte, mais bientôt, les gestes routiniers deviennent plutôt des tâches à accomplir, ce qui constitue un changement majeur de perception. Je ne suis plus cette routine, je fais la routine. Je me libère tranquillement de l'interrelation existante entre routine et identité. 

La routine étant indissociable à ma condition, il me faut trouver une alternative pour ne pas me sentir enfermé, pour sentir que je reprends le contrôle sur ma vie, que j'ai le choix de faire autre chose, autre chose que cette routine médicale. Par contre, je ne peux pas tout quitter et me lancer dans mille-et-un projets sous prétexte de liberté; je suis encore fragile et l'équilibre entre la stabilité et l'angoisse ne tient qu'à un cheveu. J'ai besoin de stabilité afin de toujours pouvoir me repérer. J'ai besoin de quelque chose de familier qui puisse me réconforter. Je m'aperçois finalement que je retrouve cette familiarité et ce réconfort dans des gestes anodins du quotidien. La prise de médicament devient cérémoniale, arroser ma plante devient hautement symbolique et le déjeuner, ce repas ignoré par plusieurs, insignifiant pour d'autres, cette étape dans une journée qui autrefois n'était associée qu'avec le devoir brutal du retour au travail et la fatigue dégoûtante du réveil. Ce repas, cette série de gestes minutieux et méthodiques deviennent, dans ma vie, un rituel sacré. 

Les rituels sont ma réponse à la routine, un compromis apaisant. Ils me permettent à la fois de garder une bonne stabilité et la flexibilité requise afin d'oser et entreprendre de nouvelles actions. Le vieux dicton affirmant que le déjeuner est le repas le plus important de la journée a pris un sens presque religieux dans ma vie. Les rituels sont mes prières et l’œuf miroir est mon Dieu!

jeudi 26 septembre 2013

Annonce Classée (ou la fois où je feelais bin trop romantique)

Homme cherche femme. Je suis célibataire depuis plusieurs années et j'aimerais maintenant partager ma vie avec quelqu'un qui pourra répondre à la description suivante. Je cherche une femme « qui aime rire et boire du bon vin entre amis ». Ok, je niaise. Si tu fumes, ça part mal. Tu vois, j'ai assez de bobos comme ça. En plus, ça pue la cigarette (oui oui même quand tu fumes dehors. Tsé ton pète, même si tu le fais dehors, il sent la marde pareil). J'ai dit que j'avais des bobos. J'attends une greffe de rein. Si en lisant ça, ta première réaction a été « pauvre lui », tu peux aller lire une autre fiche; je n’ai pas besoin de ta pitié. Si ça t'excite, je suis confus, mais ça peut toujours marcher. J'ai des dialyses trois fois par semaine, alors faut que tu sois capable d'endurer mes sautes d'humeur, mes retours à la maison tardifs après mes traitements, ma fatigue omniprésente, ma déprime occasionnelle, que je ne puisse pas voyager, que je ne puisse pas prendre des vacances avec toi au chalet de tes parents, mes faibles revenus, que je ne puisse pas aller au restaurant en amoureux (ou pas), que je ne boive pas de bon vin entre amis, que je ne mange jamais la même affaire que toi (mais toi, tu pourrais manger la même affaire que moi). C'est compliqué, je sais, mais ce n’est pas impossible. 

Et puis tu sais, il y a ce moment où le téléphone sonnerait et qu'à l'autre bout du fil, il y aurait ce médecin qui m'appelle pour me dire qu'ils ont un rein pour moi. Ce serait un moment inoubliable; une grande joie et tu pourrais être là pour la partager avec moi. On hurlerait comme des fous, on se rendrait à l'hôpital en taxi en pleurant de joie tout le long du trajet en se disant « je t'aime, ça va bien aller ». Je te serrais très fort dans mes bras avant de disparaître dans la salle d'opération pendant que tu enverrais à tous nos amis des textos euphoriques. Tu serais aussi nerveuse que moi. Moi, c'est sûr que j'aurais la chienne comme je n’ai jamais eu la chienne. Je sais déjà que j'aurais des sueurs froides et la chair de poule.

À mon réveil tu serais là, souriante et magnifique malgré tes cernes et tes cheveux gras. Tu serais la première chose que je verrais et je tomberais amoureux de toi pour la deuxième fois. On se regarderait et on se mettrait encore à brailler. Je me dirais que je suis le gars le plus chanceux au monde de t'avoir et je voudrais te faire l'amour, te dire « je t'aime » encore et encore. On se tiendrait par la main en se disant de belles choses au moment où mes parents et nos amis entreraient dans la chambre. Le lendemain, tu aurais pris congé de ta job pour venir me voir. Je te dirai alors que tu en fais trop pour moi, que je ne mérite pas tout ça, que je ne pourrai jamais assez te remercier. Tu me diras de me taire et de profiter de chaque instant de bonheur qui m'arrive en ce moment. Je te dirais que j'ai peur d'être changé par la greffe et de ne plus t'aimer comme avant. Tu ne diras rien, mais ton sourire voudra tout dire. 

Il faudra encore que tu endures mes pilules et l'angoisse d'un rejet et l'idée qu'une deuxième greffe sera inévitable un jour ou l'autre et qu'il n'est pas exclu que je reprenne la dialyse malgré tout. Mais tout ça nous semblera bien indifférent tellement nous aurons vécu quelque chose d'unique et de grandiose. Écris-moi, je t'attends.

lundi 9 septembre 2013

Rock'n Roll.

Il y a quelques mois, j'ai commencé des cours de batterie. L'instrument, pas la pile. C'est une vieille passion que je n'avais pas encore mise à exécution. Comme le permis de conduire que je viens de passer avec succès, dix-sept ans après avoir complété l'examen pratique. J'aurais dû apprendre la batterie il y a plus de dix-sept ans, mais parfois l'adolescence est un labyrinthe où l'on se perd à force de se chercher. J'irais voir un disciple de Freud pour régler ça un de ces quatre, mais pas avant dix-sept ans. 

Revenons à notre musique. J'ai toujours aimé la batterie, c'est l'instrument qui vient me chercher avant même la guitare, avant la voix. Je comprends la complexité des mouvements employés et je visualise la difficulté d'exécution. J'entre dans un état d'hypnose, me laissant emporter par les rythmes divins de Danny Carey, batteur, percussionniste, génie du groupe américain Tool. Je bave d’incompréhension et d'admiration devant la perfection des mouvements de Martin Lopez, ex métronome de la formation suédoise Opeth. La liste pourrait s'éterniser, mettant en valeur différentes qualités pour chaque batteur. Mon premier coup de cœur a été Jimmy Chamberlin, membre fondateur des Smashing Pumpkins. À partir de ce moment, la batterie ne pouvait plus quitter mon esprit et tout devenait rythme. 

La semaine passée, mon prof m'a donné la partition de ma première toune! Je m'acharne donc à maîtriser à la perfection Back in Black de AC/DC! Rythme lent, répétitif, sans extravagances, bref, super facile. Super facile pour n'importe quel musicien qui a commencé enfant à apprendre la musique. À trente-trois ans (je vous bénis tous), j'avoue que c'est loin d'être instinctif. Je suis fasciné par le clivage qui existe entre la compréhension intellectuelle d'un problème et sa résolution physique. Il n'est pas tout de comprendre la théorie, encore faut-il la traduire dans le réel. Étrangement, cette épreuve m'a toujours donné de la difficulté, que ce soit dans un contexte relationnel, de travail, pour poser une question en classe ou encore, comme je m'intéresse ici, l'exécution d'une pièce musicale. La coordination de l'intellect et du corps n'est pas chose acquise semble-t-il.

Les mécanismes du langage sont rouillés chez moi, je crois! C'est comme lorsqu'on lit un article sur un sujet complexe et qu'on tente de le résumer à des amis. On comprend ce qu'on a lu, on saisit les problématiques, on entrevoit les conséquences en lien. Pourtant, lorsqu'on le « sort » à l'oral, c'est la catastrophe; bégaiements, hésitations, on revient sans cesse sur un « détail important » oublié, on s'enlise dans des parenthèses infinies, on y ajoute son opinion. Finalement, c'est un bordel total! La musique, elle, est direct et droite. Pour suivre note par note une partition, la traduction se doit d'être parfaite. Une erreur provoque l'absence d'une note ou une de trop et l'impact est immédiatement audible, il n'y a aucune ambiguïté. Le rock m'apprend à être direct, constant et clair, mais aussi, et surtout, à pratiquer comme un malade. Ça tombe bien n'est-ce pas?!

mardi 28 mai 2013

Camera obscura.

Le recueillement est sans doute essentiel afin de faire face à l'adversité que représente la maladie. Je suis allé au centre de moi-même, j'ai ouvert de nouvelles portes, j'ai accepté le duel. Se recueillir, c'est aussi aller chercher une raison plus grande que soi-même pour se battre, c'est aller à la source de la vie elle-même. J'ai remonté le temps, je me suis projeté dans le futur, j'ai accepté le présent. J'ai construit autour de moi une armure spirituelle et l'acceptation de mon sort m'a conféré une détermination inébranlable. Jusqu'à ce que celle-ci commence à s'éroder. 

La vérité c'est que je ne possède pas les mots pour décrire les sentiments qui m'habitent. Il y a effectivement tout un travail qui s'apparente à de la spiritualité qui me donne ce qu'il faut pour continuer; certains dans la même situation que moi disent avoir trouvé Dieu. Personnellement, je n'y ai jamais cru et je n'ai jamais senti le besoin de croire en un être supérieur. Je crois en l'humain, je crois en son immense potentiel, je crois à sa capacité de philosopher, de créer, de communiquer et de construire. L'humain est capable du meilleur, surtout dans l'adversité. Cela ne fait pourtant pas de moi un optimiste, au contraire, mais je ne veux pas m'engager sur cette voie pour l'instant. Le recueillement a été nécessaire pour découvrir ce qu'il y avait de meilleur en moi et puiser de cette énergie la confiance en l'avenir nécessaire pour faire face au présent. Toutefois, dernièrement j'ai l'impression que quelque chose d'important m'échappe, comme si avec le temps j'avais oublié l'objectif de départ; l'érosion du temps. Je flotte dans un univers parallèle au vôtre et je peine à trouver les ponts pour vous rejoindre. Ce qui me permettait de me ressourcer est en train de m'isoler. 

Cet isolement ne doit pas être compris au sens propre : j'ai plusieurs amis avec qui j'ai constamment des contacts et mes parents me soutiennent pleinement. Cela fait maintenant deux ans et demi environ que j'attends une greffe. Ma routine hebdomadaire est bien établie, mon état de santé est stable depuis un bon moment et j'ai repris le contrôle sur mon alimentation. Tout va bien donc. Pourtant, ce n'est pas le cas. Toute cette stabilité routinière bien établie, ne puise pas en moi l'esprit de combativité qui m'animait encore il n'y a pas si longtemps. Maintenant que la poussière retombe, je constate mon immobilité face au monde qui continue d'avancer sans m'attendre. Alors qu'autour de moi des couples se forment et se brisent, des enfants naissent, des carrières s'emballent, des voyages se planifient, des projets aboutissent, je me sens spectateur impuissant d'un spectacle qui ne s'adresse pas à moi. Je suis derrière le rideau et j'envie les acteurs sur scène, m'imaginant dans leur rôle, saluant la foule. J'ai perdu de vue mon bonheur et mon présent. Je suis perdu entre un passé qui ne reviendra plus jamais et un futur imaginé de toutes pièces. En attendant de les retrouver, j'attends patiemment le prochain acte.

mardi 30 avril 2013

Projet numéro 4

Non je ne vous ai pas abandonné! Je travaille sur mon quatrième projet de vie en ce moment. Les trois autres ne sont qu'idées et rêves, mais il fallait bien commencé quelque part, alors pourquoi pas avec le quatrième. Quand je dis « je travaille » sur ce projet, il faut comprendre que c'est long, c'est lent et que je ne sais vraiment pas quand j'arriverais à tout mettre en place pour qu'il se concrétise. C'est que, voyez-vous, je tente de créer une œuvre qui me fait repasser par toutes les réflexions importantes, les remises en question, les doutes, les constats que j'ai posés depuis la maladie. Il n'est pas évident de revenir en arrière, retracer le processus qui nous a amenés à devenir qui nous sommes, sans s'enfarger dans de nouvelles interprétations d'une part et d'autre part, explorer à nouveau ces zones maintenant loin de nous avec la même conviction. De plus, ce processus de changement s'est fait grâce à une longue fermentation mentale qui tient son secret dans les subtils arômes qui s'ajoutent au fur et à mesure, de manière tout à fait consciente au moment présent, mais pas assez notoire pour se souvenir de la recette. Comme goûter un plat fabuleux et tenter de le recréer de mémoire. J'ai pris des notes bien sûr, mais pas assez pour être capable de replonger franchement dans les dédales de mon esprit passé. Sans compter que ce n'est pas parce que je n'écrivais pas que je ne pensais pas; je n'écris pas tout ce que je pense et je ne pense pas seulement ce que j'écris. Il faut donc ouvrir les tiroirs de l'esprit et fouiller, ce qui n'est pas toujours chose simple entre deux traitements de dialyse. En parlant de dialyse, je crois avoir trouvé la sensation que le traitement me laisse dans les jambes. C'est comme si on m'avait aspiré toute l'eau qui s'y trouvait pour ne laisser qu'une structure en carton; assez souple pour ne pas briser, mais trop sèche pour être harmonieuse. Comme une fatigue rugueuse, sèche comme un steak bien cuit. Fin de la parenthèse. Bref, le projet avance à pas de tortue, mais il avance bel et bien. Je sens que je me rapproche du mystère que je tente d'élucider avec cet effort. Je sais aussi que je ne suis pas seul à me tourmenter autant, ce qui m'apporte un certain réconfort, voire un encouragement.

dimanche 10 mars 2013

Discussion fictive.

Cette semaine, en plein milieu de ma consultation thérapeutique hebdomadaire, j'ai reçu un coup de fil décrit par mon afficheur simplement par le mot « appel ». Après avoir signalé à ma thérapeute que je devais absolument prendre ledit « appel », j'ai hésité une seconde, le temps de souhaiter très fort. Ce n'était pas l'appel avec un grand « L apostrophe », mais il s'agissait tout de même de l'hôpital Royal Victoria qui me convoquait à un rendez-vous avec un néphrologue pour une mise à jour de mon dossier. Excitation, haute pression, déception, merde. Prochaine fois? 

C'est la première fois, depuis mon inscription sur la liste de transplant, qu'on met mon dossier à jour. Je ne sais pas trop ce que je vais dire au médecin : 
 - Bonjour monsieur Ouaknine, comment allez-vous? 
 - Ça dépend. Physiquement, malgré les circonstances, je vais pas mal bien, je dirais. Mentalement, c'est  moins bon. Je suis plutôt déprimé, isolé, pis chu généralement écœuré de mon état de malade. 

Après une courte discussion concernant mon état psychologique visant à éviter d'aborder le sujet en profondeur, le médecin regarderait mon dossier de l'Hôpital Général. 
 - Je constate que vous n'avez toujours pas de fistule. Vous n'avez toujours pas décidé? 
 - En fait, oui j'ai décidé. J'ai décidé de ne jamais en avoir. Jamais. Parce qu’accepter d'avoir la fistule, c'est d'accepter le statut permanent de la dialyse et ça, je ne l'accepte pas. La dialyse, c'est temporaire. La fistule, en plus d'être dégueulasse, ça m'agresse, c'est comme si on faisait une mutation sur mon corps. De toute façon, je vais avoir une greffe. Je vais avoir une greffe et ça va être un super bon rein; tellement bon qu'on va m'enlever le cathéter en même temps, direct sur la table d'opération. Après ça, je vais me réveiller et je vais avoir envie de pisser des gallons, je vais alors pisser des gallons sans arrêt. Pis là je vais me mettre à boire comme un fou, je vais boire des litres d'eau bien froide, bien rafraîchissante, une eau pure et limpide comme dans les annonces, avec la condensation sur le verre pis les ralentis, pis toute. Pis après, je vais m'acheter un deux litres de jus d'orange, mais pas du cheap là, du vrai jus d'orange avec juste des oranges fraîches comme ingrédient, pis je vais le caler super vite et m'en renverser plein sur moi. Je vais être tout collé de jus d'orange, un vrai gâchis. Mais je vais m'en foutre, parce qu'après ça je vais plonger dans un lac pour me laver. Ou dans la mer! Je vais nager et me battre contre les vagues! Je vais jouer dans l'eau comme un enfant, pendant des heures. Après tout cet exercice, que ma peau soit rendue toute ratatinée, je vais avoir une faim de loup, alors peut-être que je vais me faire à manger. Mais NON! Je vais prendre le téléphone et je vais me commander une grosse pizza toute garnie avec un coke dans une bouteille de verre (c'est tellement meilleur). Pis ça, ça va être délicieux! Je vais m’empiffrer de pizza et là je vais encore aller pisser parce que j'avais déjà oublié à quel point faut pisser souvent dans la vie. Comme la journée ne fait que commencer et que j'ai encore de l'énergie, ce qui ne m'arrive jamais, je vais faire une longue promenade dans le Mile-End en faisant un détour sur le Mont-Royal. À l'heure du souper, je vais manger dans un des dix huit mille restos végétariens du quartier pour manger des maudites fèves et du tofu. Je m’ennuie déjà de ma pizza du midi, mais c'est pas grave je fais ça juste parce que je le peux! Après, vous allez penser que j'ai fait le tour, mais vous oubliez le dessert. Il me faut un dessert après une aussi bonne journée. Alors je vais aller m'acheter un gâteau, je crois. Ou des viennoiseries, je ne suis pas encore décidé. De toute façon, l'important c'est qu'il y ait du beurre et du chocolat et possiblement de la crème à 35%. Et pas du chocolat minable là, non, de la top qualité du genre chocolat noir à 70 ou 80 pour cent. Il va sans dire que j'accompagnerais mon dessert super cochon indéfini par un immense verre de lait. J'aurais une super belle moustache de lait. Je serais au paradis. 

Puis après un moment de silence, comme pour réviser mentalement ce que je viens de dire j'ajouterais : 
 - Faque c'est pour ça que je veux pas la fistule. 

J'ai pensé m'inscrire à la cabane à sucre du gros Martin Picard pour l'hiver 2014, question de forcer le destin. Ce n'est sans doute pas une si bonne idée. On s'en reparle! 




mercredi 27 février 2013

Petit guide de survie à l'hiver québécois.


Pour une raison que j'ignore, j'ai été particulièrement esquinté par l'hiver québécois cette année. L'absence de lumière, le froid intense de janvier, mon anémie incontrôlable; tout ça m'a assommé au point de me poser de sérieuses questions quant à ma santé mentale. J'ai alors établi un plan de redressement émotif basé sur des principes simples de psychologie. Mes objectifs étaient de générer de la motivation, assurer l'engagement et de me déjouer moi-même.

Motivation :
J'ai fondé mon plan sur les principes de motivation intrinsèque et extrinsèque. N'ayant aucune motivation intrinsèque cet hiver, j'ai cherché à stimuler l'extrinsèque dans l'espoir que celui-ci agisse subtilement sur l'intrinsèque. Voici la méthode :

  • Se mettre sur son 36 pour aller faire l'épicerie ou n'importe quelle sortie quotidienne et banale.
  • S'acheter un magnifique morceau d'agneau (chose que je n'achète jamais $$$) et me préparer un couscous, repas réconfort par excellence.
  • Accepter toutes les invitations de ses amis.
  • Sortir dans les vernissages et lancements de toute sorte.
Engagement :
Qui dit déprime, dit isolement. Il faut combattre l'isolement en s'engagent dans des activités en affirmant notre présence au autres. Voici la méthode :
  • Confirmer de manière verbale ou écrite notre présence aux activités et sorties.
  • Consulter en thérapie chaque semaine avec un contrat qui offre une pénalité pécuniaire en cas d'absence.
  • S'abonner au gym.
  • Prendre rendez-vous avec un entraineur au gym.
  • Accepter une offre de bénévolat.
  • Harceler ses amis pour organiser des sorties.
Se déjouer :
Se déjouer n'est pas simple et repose sur des principes auquel je n’adhère habituellement pas. Tout comme la thérapie par le rire, se déjoué consiste à stimuler artificiellement un état de joie. Voici la méthode :
  • Écouter de la musique ultra joyeuse (dans mon cas l'album « Tourist History » de Two Doors Cinema Club fonctionne particulièrement bien).
  • S'acheter 2-3 bébelles pour se faire plaisir.
Évidemment, tout ça a pris du temps avant de faire effet et il est important de persévérer. L'activité physique s'est avérée être la solution ayant les effets les plus notoires et a coïncidé avec la fin de mon anémie. Mystère. Néanmoins, vivement le printemps!