Bienvenue sur « Hypertendu », une saga médicale d'un dialysé en attente d'une greffe.
lundi 4 mai 2015
Remplacement.
vendredi 13 mars 2015
Restant des fêtes.
J’ai beau m’insurger contre lui, je suis quand même en train de consulter sa recette de pâté au poulet sur internet afin de passer un restant de dinde du jour de l’an. Je n’ai pas le choix de piler sur mon orgueil et d’avouer que son site de recettes est foutument bien fait et qu’il déçoit rarement. Je vais tout de même y mettre ma touche personnelle et ajouter du romarin ainsi que le délicieux bouillon dans lequel est figée la dinde. Je vais même faire la pâte brisée à la main, mais je vais remplacer le beurre par du Crisco végétal. En fait, je dois remplacer le beurre. Je ne peux pas l’utiliser à cause de l’insuffisance rénale. Quatre ans de dialyse, quatre ans de privation de beurre dans la pâte, de fromage dans les sauces, de lait dans les céréales et de toute façon, de céréales aussi.
Quatre ans de Ricardo qui calice quantité de produits laitiers dans ses recettes, qu’il ne confectionne même pas, qu’il y a au moins douze cuisiniers qui font sa job à sa place, de maudite fraude qui fait juste sourie à la caméra et vendre sa marde encore et encore.
Bon, évidemment il met des pommes de terre dans sa recette et je dois aussi éviter les aliments riches en potassium comme ladite patate. Je m’adapte, comme toujours. Je vais doubler la quantité des autres légumes et je vais ajouter des champignons revenus à la poêle. Je me sens créatif ce soir, malgré tout, prêt à improviser autour de la recette parfaite de Ricardo le parfait et de ses dents parfaites de parfait mannequin.
Ma poêle est chaude à point, j’y jette les champignons taillés en quartier. Je ne les remue pas afin qu’ils perdent leur eau et grillent. Au bout de quelques minutes, je les retourne; ils sont à point. Parfait, je réserve. Je prépare ma brunoise de légumes - carottes, oignions, cèleris - avec une précision méticuleuse digne des maîtres. Mon couteau est affuté et mes mains agiles, mais fermes. Je retourne vérifier la liste des ingrédients déconcertante par sa simplicité:
- Fécule de maïs, pour donner de la densité au mélange;
- De l’eau froide, pour diluer la fécule de maïs;
- De la farine blanche, aussi pour donner de la texture, j’imagine;
- Du beurre ramolli, encore du tabarnak de beurre ?;
- Du poivre, on se lâche lousse;
- Du sel, que je dois aussi éviter, mais que je vais mettre pareil parce que d’la marde;
- « et un peu de sucre en poudre! »
La recette de pâte brisée sur le site de Crisco diffère légèrement en terme de proportions pour l’utilisation du beurre. Pour me simplifier la vie et tel que recommandé par Crisco, je décide d’utiliser le robot culinaire ultra puissant que ma mère m’a donné un jour à Noël. Une vraie pièce de collection. D’ailleurs, Ricardo, je crois qu’on à exactement le même modèle, ce qui me rend pas peu fier. Tu vois, moi aussi j’ai un peu de sang bourgeois qui coule dans les veines. Du sang de bourgeois impur, certes, du sang intoxiqué d’urée et de créatinine, un sang filtré à chaud, autour de 37oC, aux deux jours et en vain. Éternel recommencement, pendant quatre heures à chaque fois, me drainant de toute mon énergie à chaque fois, me rendant aussi loquace qu’une carotte bouillie à chaque fois, transformant mes muscles en pâte de carton à chaque fois. Le corps ne s’habitue jamais à ça.
Ha fuck! J’arrive jamais à réussir la maudite pâte brisée! J’ai trop pétri ? Trop ajouté d’eau ? Pas assez ? Ricardo, dis-moi donc ce que j’ai pas fait de correct. Rends-toi utile pour une fois calvaire. La pâte colle à mon plan de travail pourtant généreusement enfariné. J’arrive de peine et de misère à former une surface assez grande pour recouvrir la majeure partie de mon plat creux, mais un travail de rafistolage est nécessaire Tu vois, je m’adapte, encore une fois. Moi aussi j’aimerais que ma vie soit une belle pâte lisse et ferme qui épouse parfaitement le moule qu’on me présente. Mais non! Ma vie est une pâte brisée qui se déchire; j’assemble du mieux que je peux les morceaux pour que ça se tienne. Parfois ça fonctionne, d’autres fois je vois les cicatrices laissées par ce travail de raboutage. Mon fond de pâté ressemble plus à une courtepointe qu’à une œuvre culinaire; c’est pas grave ça va être bon pareil. C’est toujours ça que je me dis.
Le pâté dans le four, son délicieux arôme se répand dans l’appartement : ça sent les fêtes, ça sent le réconfort. Tu sais Ricardo, ce n’est pas contre toi que j’en ai. C’est cette maudite situation que j’endure et que tu me remets en pleine face à chaque fois que tu présentes une recette toute simple. Parce que pour moi, ce n’est presque pas possible d’avoir de la simplicité en cuisine. Comme dans le reste de ma vie d’ailleurs. Encore l’autre soir, je me suis dit que j’allais sortir, m’asseoir au bar et siroter quelque chose, peut-être même un alcool fort genre whisky ou bourbon. Mais tu sais, la réalité reviens vite au galop et je suis plutôt passé tout droit, observant au passage le reste de ma génération avoir ce qui semble être du plaisir; éclats de rires, toast à l’une puis à l’autre, jeune couple ou en voie de l’être qui se noie dans le regard de l’autre et ma trentaine, dans le fond de la salle, qui me fait bye-bye de la main. À chaque fois je me fais prendre. À chaque fois que j’essaie d’ignorer la réalité trente secondes, d’entrer en phase de déni provisoire, je me fais mordre cent fois plus fort; une crisse de gifle. Faque va chier avec ton pâté au poulet, mais prend le pas personnel.
Si jamais ça sent le brûlé ce soir, Ricardo, ce n’est pas à cause de toi ou de ce qui cuit dans le four : c’est juste mon cœur carbonisé qui abdique.
lundi 22 décembre 2014
Jamais deux sans trois.
samedi 20 décembre 2014
Le palais des glaces.
samedi 18 octobre 2014
Pour une bouchée de pain.
dimanche 30 mars 2014
La constance des variations.
vendredi 14 mars 2014
Fistule III: La vengeance.
samedi 5 octobre 2013
Rite de passage.
jeudi 26 septembre 2013
Annonce Classée (ou la fois où je feelais bin trop romantique)
mardi 28 mai 2013
Camera obscura.
mardi 30 avril 2013
Projet numéro 4
dimanche 10 mars 2013
Discussion fictive.
mercredi 27 février 2013
Petit guide de survie à l'hiver québécois.
- Se mettre sur son 36 pour aller faire l'épicerie ou n'importe quelle sortie quotidienne et banale.
- S'acheter un magnifique morceau d'agneau (chose que je n'achète jamais $$$) et me préparer un couscous, repas réconfort par excellence.
- Accepter toutes les invitations de ses amis.
- Sortir dans les vernissages et lancements de toute sorte.
- Confirmer de manière verbale ou écrite notre présence aux activités et sorties.
- Consulter en thérapie chaque semaine avec un contrat qui offre une pénalité pécuniaire en cas d'absence.
- S'abonner au gym.
- Prendre rendez-vous avec un entraineur au gym.
- Accepter une offre de bénévolat.
- Harceler ses amis pour organiser des sorties.
- Écouter de la musique ultra joyeuse (dans mon cas l'album « Tourist History » de Two Doors Cinema Club fonctionne particulièrement bien).
- S'acheter 2-3 bébelles pour se faire plaisir.
lundi 18 février 2013
Silence (un texte qui n'est plus vrai maintenant)
jeudi 21 juin 2012
Fait fuckin chaud.
samedi 31 mars 2012
Marcher pour les reins!
mercredi 28 mars 2012
À bout de souffle (Ceci n'est pas un film)
Je vous ai souvent parlé de ma situation médicale, des derniers tests, des opérations et des développements concernant la greffe. Je me suis rarement confié à vous, rarement je vous ai décrit comment je me sentais de l'intérieur. Je ne vous cacherai pas que j'ai préféré entreprendre une thérapie plutôt que d'étaler mes sautes d'humeur sur la toile. Je vous ai déjà dit que j'étais bien entouré aussi, ce qui est magnifique pour le moral. Il y a cependant quelque chose que j'aimerais tenter de partager avec vous. Je dis bien tenter, car c'est une chose que vous n'avez sans doute jamais vécue, que je vous souhaite d'ailleurs de ne jamais vivre. Cet événement qui est d'une grande banalité est le retour à la maison après un traitement de dialyse. Ceux qui l'on vécut doivent comprendre exactement de quoi je parle. Malheureusement.
Après 4 heures de traitement, mon cœur bat vite. Il vient d'être mis à rude épreuve, cela fait quatre heures qu'une machine entrave son travail et l'oblige à forcer davantage. J'ai le souffle court. Je retourne à la maison en transport en commun; je dois marcher jusqu'au métro, l'emprunter pour une dizaine de stations et marcher jusqu'à la maison. Plusieurs épreuves sont à prévoir durant le trajet. Me rendre au métro est sans doute ce qui est de plus facile, mais déjà quand j'ai l'occasion de m'assoir je constate que mes jambes sont molles, que je suis essoufflé d'avoir à peine marché 10 minutes. Je dois me concentrer pour rester droit sur mon banc, car je n'ai que l'envie de m'évacher complètement. J'ai besoin de me couper du monde; je mets mes écouteurs et je me ferme les yeux. Les stations passent et je perds le fil. À certains moments je crois que je m'endors l'espace de quelques secondes. Tout est si lent à l'intérieur. Métro Joliette, c'est ma station, je débarque et me retrouve au pied de l'escalier. Après à peine trois ou quatre marches, je sens la fatigue qui brûle mes jambes. Mes cuisses sont lourdes et alors que j'avais l'habitude de monter ces marches deux par deux, je me laisse dépasser par tout le monde. À la sortie, il arrive parfois que l'escalier roulant ne fonctionne pas. Je dois alors reprendre mon souffle à chacun des paliers et permettre au feu dans mes jambes de s'éteindre. Une fois à la maison, je mange un peu, je m'installe étendu sur mon divan emmitouflé dans une couverture chaude et j'entame un épisode de série télé sur mon ordi. Je ne vois jamais la fin. À mon réveil, il m'arrive souvent d'être désorienté et il me faut quelque minutes pour comprendre où je suis et qu'il est l'heure de souper.
Ces trois jours dans la semaine, lorsque je reviens à la maison la plupart des gens qui me connaissent comprennent que je suis fatigué. Ce qui est moins évident à comprendre, je crois, est que mon esprit aussi est grandement affecté. Si vous voulez me vendre quelque chose, c'est le temps idéal. Mon esprit analytique est complètement pulvérisé par l'effort de faire des liens et il m'est incapable de saisir le deuxième degré. Je prends soudainement l'ironie et le sarcasme au pied de la lettre. Il n'y a plus d'envers du décor. Il n'y a pas de débat ou d'argumentation possible. Les formalités sont épuisantes. Je suis soudainement vulnérable et ma meilleure défense est le silence. Si on répond avec humour à une question que j'ai pris soin de me repasser plusieurs fois dans la tête afin d'en mesurer la légitimité, je suis déboussolé, je ne capte pas la forme. « C'est une blague ». Ah, oui. J'avais compris, mais ce n'est pas drôle. Cela me fâche, je suis faible. Le ridicule est en train de me tuer. Il faut que je sorte d'ici. Ne me parlez plus. Je ne me reconnais pas, je ne comprends pas ce qui m'arrive, pourtant cela se répète trois fois semaine. Je m'enferme. J’attends que ça passe, j’attends demain.
Avez-vous déjà vu des gens craquer sous l'effort physique? Alors qu'ils sont épuisés et qu'ils sont sur le point de tomber sans connaissance, on leur ordonne de continuer. Et ils craquent. Parfois, il m'arrive de craquer parce que je dois sortir le soir et marcher quinze minutes pour m'acheter de quoi manger. C'est ça, mon retour de dialyse.