vendredi 13 mars 2015

Restant des fêtes.

Va chier Ricardo. Va chier toi pis ton beau sourire, ton sourire Crest, ton sourire de broches super symétrique qui brille que je suis certain qu’ils mettent un filtre en post-prod pour pas aveugler la province au complet pis se ramasser avec un recours collectif sur le dos. Pis ton sourire de vendeur de cochonneries faites en Chine pas foutues d’être conformes à la Charte de la langue française; t’as pas honte? Pis que ça te pètes dans les mains après deux semaines pis que ça te permette de t’acheter quatre maisons dans le vieux Chambly : coudonc veux-tu posséder la ville? Quand je te regarde, j’ai l’impression de voir une caricature tellement t’es faux, tellement ta peau c’est du plastique pis tes dents de la porcelaine; on dirait une caricature d’info pub des années 90 ton affaire. Tu plug tes cossins au trente secondes, ta revue au deux minutes pis tout ça sur les ondes d’un diffuseur public; comme les prix que tes livres ramassent chaque année au Salon, que ça me donne des nausées, mais pas comme tes recettes qui sont bonnes à chaque fois que je les essaye pis que ça me fait encore plus chier, si au moins ça goutait la marde, peut-être que ça me donnerais un peu plus raison de t’haïr de même.
 
J’ai beau m’insurger contre lui, je suis quand même en train de consulter sa recette de pâté au poulet sur internet afin de passer un restant de dinde du jour de l’an. Je n’ai pas le choix de piler sur mon orgueil et d’avouer que son site de recettes est foutument bien fait et qu’il déçoit rarement. Je vais tout de même y mettre ma touche personnelle et ajouter du romarin ainsi que le délicieux bouillon dans lequel est figée la dinde. Je vais même faire la pâte brisée à la main, mais je vais remplacer le beurre par du Crisco végétal. En fait, je dois remplacer le beurre. Je ne peux pas l’utiliser à cause de l’insuffisance rénale. Quatre ans de dialyse, quatre ans de privation de beurre dans la pâte, de fromage dans les sauces, de lait dans les céréales et de toute façon, de céréales aussi.
 
Quatre ans de Ricardo qui calice quantité de produits laitiers dans ses recettes, qu’il ne confectionne même pas, qu’il y a au moins douze cuisiniers qui font sa job à sa place, de maudite fraude qui fait juste sourie à la caméra et vendre sa marde encore et encore.
 
Bon, évidemment il met des pommes de terre dans sa recette et je dois aussi éviter les aliments riches en potassium comme ladite patate. Je m’adapte, comme toujours. Je vais doubler la quantité des autres légumes et je vais ajouter des champignons revenus à la poêle. Je me sens créatif ce soir, malgré tout, prêt à improviser autour de la recette parfaite de Ricardo le parfait et de ses dents parfaites de parfait mannequin.
 
Ma poêle est chaude à point, j’y jette les champignons taillés en quartier. Je ne les remue pas afin qu’ils perdent leur eau et grillent. Au bout de quelques minutes, je les retourne; ils sont à point. Parfait, je réserve. Je prépare ma brunoise de légumes - carottes, oignions, cèleris - avec une précision méticuleuse digne des maîtres. Mon couteau est affuté et mes mains agiles, mais fermes. Je retourne vérifier la liste des ingrédients déconcertante par sa simplicité:
  • Fécule de maïs, pour donner de la densité au mélange;
  • De l’eau froide, pour diluer la fécule de maïs;
  • De la farine blanche, aussi pour donner de la texture, j’imagine;
  • Du beurre ramolli, encore du tabarnak de beurre ?;
  • Du poivre, on se lâche lousse;
  • Du sel, que je dois aussi éviter, mais que je vais mettre pareil parce que d’la marde;
  • « et un peu de sucre en poudre! »
C’est de l’arsenic que je mettrais dans ta recette mon beau Ricardo pour te voir convulser dans ta cuisine du vieux Chambly. Ben non ! Tu sais bien que je niaise. Mais des fois, j’aimerais juste que tu vives quelques jours dans ma peau. Que ta vie de superstar soit chamboulée, anéantie même, du jour au lendemain. Pas que je te souhaite un malheur, non. Ça serait temporaire, juste pour toi. Juste un aller-retour rapide dans le merveilleux monde de l’insuffisance rénale et des traitements de dialyse. Tu serais mon porte-parole, ma voix, mon lobbyiste. Toi aussi tu irais sur ton site de recettes et tu te rendrais compte que tu dois tout réadapter, que tu dois tout repenser, jusqu’à en être frustré et vouloir tout crisser là. Et les jours de grande fatigue comme il y en a tant à cause des traitements corrosifs, et que tu voudras commander de la pizza ou du chinois ou du St-Hubert, tu ne pourras pas, toi non plus. Il faudra te résoudre à cuisiner quelque chose pour te nourrir, quitte à produire un plat insipide pour combler un besoin en attendant la récupération du corps, qui ne semble jamais s’effectuer, avant de pouvoir à nouveau avoir la force d’adapter, modifier et improviser avec brio et créativité un délice inspiré. Tu auras une étoile Michelin à ce moment-là. Dans mon cœur en tout cas.  
 
La recette de pâte brisée sur le site de Crisco diffère légèrement en terme de proportions pour l’utilisation du beurre. Pour me simplifier la vie et tel que recommandé par Crisco, je décide d’utiliser le robot culinaire ultra puissant que ma mère m’a donné un jour à Noël. Une vraie pièce de collection. D’ailleurs, Ricardo, je crois qu’on à exactement le même modèle, ce qui me rend pas peu fier. Tu vois, moi aussi j’ai un peu de sang bourgeois qui coule dans les veines. Du sang de bourgeois impur, certes, du sang intoxiqué d’urée et de créatinine, un sang filtré à chaud, autour de 37oC, aux deux jours et en vain. Éternel recommencement, pendant quatre heures à chaque fois, me drainant de toute mon énergie à chaque fois, me rendant aussi loquace qu’une carotte bouillie à chaque fois, transformant mes muscles en pâte de carton à chaque fois. Le corps ne s’habitue jamais à ça.
 
Ha fuck! J’arrive jamais à réussir la maudite pâte brisée! J’ai trop pétri ? Trop ajouté d’eau ? Pas assez ? Ricardo, dis-moi donc ce que j’ai pas fait de correct. Rends-toi utile pour une fois calvaire. La pâte colle à mon plan de travail pourtant généreusement enfariné. J’arrive de peine et de misère à former une surface assez grande pour recouvrir la majeure partie de mon plat creux, mais un travail de rafistolage est nécessaire Tu vois, je m’adapte, encore une fois. Moi aussi j’aimerais que ma vie soit une belle pâte lisse et ferme qui épouse parfaitement le moule qu’on me présente. Mais non! Ma vie est une pâte brisée qui se déchire; j’assemble du mieux que je peux les morceaux pour que ça se tienne. Parfois ça fonctionne, d’autres fois je vois les cicatrices laissées par ce travail de raboutage. Mon fond de pâté ressemble plus à une courtepointe qu’à une œuvre culinaire; c’est pas grave ça va être bon pareil. C’est toujours ça que je me dis.
 
Le pâté dans le four, son délicieux arôme se répand dans l’appartement : ça sent les fêtes, ça sent le réconfort. Tu sais Ricardo, ce n’est pas contre toi que j’en ai. C’est cette maudite situation que j’endure et que tu me remets en pleine face à chaque fois que tu présentes une recette toute simple. Parce que pour moi, ce n’est presque pas possible d’avoir de la simplicité en cuisine. Comme dans le reste de ma vie d’ailleurs. Encore l’autre soir, je me suis dit que j’allais sortir, m’asseoir au bar et siroter quelque chose, peut-être même un alcool fort genre whisky ou bourbon. Mais tu sais, la réalité reviens vite au galop et je suis plutôt passé tout droit, observant au passage le reste de ma génération avoir ce qui semble être du plaisir; éclats de rires, toast à l’une puis à l’autre, jeune couple ou en voie de l’être qui se noie dans le regard de l’autre et ma trentaine, dans le fond de la salle, qui me fait bye-bye de la main. À chaque fois je me fais prendre. À chaque fois que j’essaie d’ignorer la réalité trente secondes, d’entrer en phase de déni provisoire, je me fais mordre cent fois plus fort; une crisse de gifle. Faque va chier avec ton pâté au poulet, mais prend le pas personnel.    
 
Si jamais ça sent le brûlé ce soir, Ricardo, ce n’est pas à cause de toi ou de ce qui cuit dans le four : c’est juste mon cœur carbonisé qui abdique.

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